Fédor Dostoïevski, Le sous-sol

Causse du Larzac, roc du Mérigou - Fédor Dostoïevski, Le sous-sol

Causse du Larzac, roc du Mérigou

Il y a une certaine jubilation à empoigner un auteur par les pages, à triturer son papier, quand on ne l’avait jusque-là abordé que par la voix des autres. Dostoïevski m’intimidait, je me suis laissée prendre par l’oreille des interprétation audio avant d’assumer mon indépendance de lectrice et de lui donner sa propre petite voix dans mon intérieur. Ce ne fut pas sans mal ni sans difficultés… la première partie, monologue sans prises ni récit, un seul être vous parle et on ne sait pas vraiment de quoi, a eu raison de mes louables intentions. J’aborde difficilement l’abstraction.

Déjà alors, mon âme portait en elle son sous-sol. (181)

Mais j’aime la brutalité franche de ces écrits, ce personnage décrit sans qu’aucun vernis de respectabilité, d’image de soi à préserver n’entrave le travail de l’écrivain. Il démonte allègrement ce qui est censé constitué notre identité sociale et rue dans les brancards. Comme le soutiendrait Abigail Padgett en écho, l’homme clairvoyant est loin d’avoir une vie facile et acceptée par les cohortes de gens normaux. Ici notre ami est en constant décalage avec son environnement, ses semblables. Le sens des situations, des réactions des autres, lui échappent, et l’interprétation qu’il en fait, ses tentatives laborieuses pour exister parmi ses semblables ne le mènent qu’à des catastrophes pathétiques, un isolement à ras de terre, le mépris de lui-même.

Raconter tout au long comment j’ai manqué ma vie en me déshabituant de vivre, en rageant sans cesse dans mon sous-sol, non, vraiment, ce n’est pas intéressant. Pour faire un roman il faut un héros, mais moi, comme si je faisais exprès, j’ai réuni ensemble tous les traits d’un anti-héros. Et puis, tout cela produira une impression détestable, parce que nous sommes tous déshabitués de vivre, parce que tous nous boitons plus ou moins. Nous en sommes même déshabitués à tel point, que nous ressentons pour la « vie vivante », presque du dégoût, et c’est pourquoi nous n’aimons pas qu’on en fasse souvenir. (296)

Comment lire Dostoïevski sans perdre pied, sans avoir l’impression de patauger dans un marécage, comment gérer le déplaisir que procure la lecture, tout en en tirant le maximum ? Je n’ai pas encore la réponse, mais ça m’intéresse.

Causse du Larzac - Roc du Mérigou

Causse du Larzac – Roc du Mérigou

 

Ce contenu a été publié dans Explorations littéraires. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *