Alice Munro, L’amour d’une honnête femme

L'amour d'une honnête femme de Alice Munro - Chat

Si les recueils de nouvelles d’Alice Munro ne sont pas tous de même qualité, celui-ci est particulièrement fort, et dense, saisissant dès les premières images. Elle n’hésite pas à user d’urine, d‘odeur amoniacale, de graillonements, d’excrétions seigneuriales pour approcher au plus près le corps humain. Avant le changement est d’une grande beauté dans la construction, la force du propos, la claque.

La sensation de voir l’argent jeté d’un pont ou loin en l’air m’a été donnée. L’argent, les espoirs, les lettres d’amour – toutes ces choses peuvent être lancées en l’air et retomber transformées, retomber légères et libérées du contexte. (86)

Je ne me rappelle jamais des histoires ou des personnages après coup parce que la rencontre avec le livre ne se situe pas vraiment au niveau du récit, mais plutôt à celui d’un jeu de miroir. Elle lance des indices, esquisse, et comme dans la vie concrète, il nous faut interpréter, donner du sens, nouer les fils. Elle ne crée pas de personnages ou de situations romanesques qui suscitent l’évasion mais demande au lecteur de puiser dans sa propre expérience les clés qui lui permettront de comprendre ce qu’elle veut exprimer.

Des mensonges de cet ordre pouvaient se trouver en attente dans les recoins de l’esprit d’une personne, suspendus comme des chauve-souris, attendant de profiter de n’importe quelle obscurité. L’on était jamais en droit de dire : “Personne ne pourrait inventer une histoire pareille”. Voyez comme les rêves sont complexes, couche après couche, si bien que la partie dont vous vous souvenez et que vous pouvez formuler avec des mots n’est que la pellicule que vous parvenez à détacher du dessus. (345)

Comment faire pour que le monde reste habitable semble en être un questionnement fondamental.

Qu’y a-t-il dans les pleurs d’un nourrisson qui les rend si puissants, capables de mettre à mal l’ordre dont vous dépendez, intérieurement et extérieurement ? Ils ressemblent à un orage : insistants, théâtraux, cependant, d’une certaine façon, sans artifice et improvisés. Ils font des reproches plutôt qu’ils ne supplient, proviennent d’une rage impossible à calmer, une rage légitimée par la naissance, dénuée d’amour et de pitié, prête à vous écraser le cerveau à l’intérieur du crâne. (152)

 

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