Peter Godfrey-Smith, Le prince des profondeurs

Cirque de Navacelles, la Vis - Peter Godfrey-Smith, Le prince des profondeurs

Cirque de Navacelles, la Vis

Les deux premiers chapitres sentent le passage obligé : un étayage de connaissances de base pour appuyer la suite sur un ton qui se veut ludique et accessible. Peter Godfrey-Smith s’appuie sur l’image de l’arbre phylogénétique constitué de racines et de branches qui partent vers le ciel. C’est étonnant car il y a aujourd’hui des représentations sous forme de buisson sphérique composé de trois branches s’épanouissant à partir d’un centre qui sont beaucoup plus intéressantes, intellectuellement stimulantes et représentatives du foisonnement de la vie. Elles évitent toute idée de hiérarchisation, de supériorité de l’homme ou d’une croissance qui tendrait vers un but.

Tous les animaux qui ressentent ne sont pas forcément conscients. (147)

La vie surgit au troisième chapitre. L’attention fraternelle que Peter Godfrey-Smith porte aux poulpes et aux seiches, cette sensation d’implication mutuelle qu’ils vous procurent, donne tout de suite beaucoup de chaleur à son écriture. Récits, réflexions philosophiques et connaissances scientifiques alternent avec bonheur. Il nous invite à faire de la plongée et à réfléchir avec lui en compagnie de ces êtres dont le corps est à la fois partout et nulle part et dont le bavardage chromatique continuel ne s’adresse – la plupart du temps – à personne. Sa pensée progresse au fil de questions et d’hypothèses tout en restant ouverte. J’ai pris plaisir à me laisser guider dans cette exploration de la sentience et de la conscience, de la pensée complexe hors langage, domaines riches de possible et touchant aux fondements de l’existence.

Le discours intérieur peut prendre une telle place qu’il en devient envahissant chez certaines personnes, qui ont recours à la méditation pour faire taire ce bavardage continuel. (227)

Peut-être que les formes de pensée consciente les plus vivantes sont celles durant lesquelles nous portons l’attention sur nos propres processus de pensée, y réfléchissons et les expérimentons comme les nôtres. (231)

Je trouve cependant qu’il passe à côté de deux pistes. D’une part, la méditation comme champ d’expérimentation direct de la conscience. D’autre part, la possibilité d’une conscience qui ne soit pas exclusivement individuelle. Nombre d’êtres vivants ne se conçoivent pas comme des entités séparées, même si leur unité corporelle en donne l’impression. Les recherches sur le cerveau et la génétique ont à ce sujet des choses à nous dire.

Je ne peux jamais, à aucun moment, me saisir moi-même sans une perception, et jamais ne je ne puis observer autre chose que la perception. [David Hume] (211)

David Hume aurait pu aller plus loin dans son observation s’il avait pratiqué la méditation (dite de pleine conscience, par exemple), qui consiste à identifier, observer et laisser passer les phénomènes qui se manifestent dans l’esprit sans jugement et surtout sans saisie. Une expérience qui remet en cause la question d’un soi-même permanent et localisable, effectivement, mais qui peut aussi s’ouvrir sur une conscience d’être au-delà du cadre de l’identité, qui transcende la construction mentale et émotionnelle de notre personne. David Godfrey-Smith reste cantonné à une vision utilitaire et fonctionnelle et écarte trop facilement la possibilité d’une conscience du vide, du rien, d’une conscience impersonnelle et originelle qui ne nous appartient pas et nous rend fondamentalement vivants.

[Lu dans le cadre des fabuleuses masses critiques]

Cirque de Navacelles

Cirque de Navacelles

Cirque de Navacelles – La Vis

Cirque de Navacelles – La Vis

Cirque de Navacelles – La Vis

Cirque de Navacelles – La Vis

Cirque de Navacelles – La Vis

Cirque de Navacelles – La Vis

 

Hamilton est mort en 2000 après avoir attrapé la malaria lors d’un voyage en Afrique, où il enquêtait sur les origines du VIH. Environ dix ans avant sa mort, il avait décrit par écrit les funérailles qu’il désirait. Son corps devait être transporté dans les forêts brésiliennes et abandonné là pour être dévoré de l’intérieur par un énorme scarabéé « Coprophanaeus » ailé dont les larves émergeraient de son corps pour s’envoler.

« Pas de vers pour moi, ni de mouche sordide, je grésillerai dans le crépuscule comme un énorme bourdon. Je me multiplierai, je vrombirai comme un essai de motocyclettes, je serai porté par un corps volant sous les étoiles de la nature brésilienne, soulevé par ces magnifiques élytres que nous aurons tous dans le dos. Et finalement, moi aussi, je brillerai comme un scarabée violet sous une pierre. »
(255)

 

 

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