Antoine de Baecque, Les voix de Compostelle

The Rijksmuseum RP-P-BI-5199 - Antoine de Baecque, Les voix de Compostelle

The Rijksmuseum, Amsterdam RP-P-BI-5199

Du moins cette rhétorique de l’effort récompensé par la grâce – ou par la connaissance de soi – jette-t-elle sur le chemin des milliers de marcheurs, ce qui est plus inoffensif que les croisades ou les conquêtes longtemps menées au nom de Saint Jacques, l’apôtre matamore. (VIII)

Le volume est beau, drapé d’un rouge moyenâgeux et de graphismes aux allures d’enluminures.

L’introduction constitue un excellent condensé de tout ce qui se trouve dans le livre. Après lecture, on peut piochez à sa guise dans le reste du volume. J’ai parcouru tous les en-têtes, plongé dans les textes selon mes affinités. Historiques, ethnologiques, artistiques, tous les aspects du Chemin sont évoqués. La recherche est fouillée et ne se résume pas à un simple collage à vertu commerciale. Le point de vue est aiguisé, ouvert, lucide.

Survolant les considérations religieuses, je me suis plus attardée sur la genèse, l’invention d’une tradition pèlerine montée de toutes pièces et portée par des intentions plus politiques et belliqueuses que spirituelle…

Les descriptions des routes fréquentées par toutes sortes d’escrocs, de prostituées, de pique-assiettes et de marchands de reliques sont elles aussi savoureuses.

Car il ne faut pas oublier qu’à des époques de grandes dépravations, de crimes publics, de déprédations et de meurtres, beaucoup de coupables se faisaient pèlerins pour aller au loin réparer leurs fautes et leurs crimes. Ils auraient rougi de reconnaître et d’expier leur coupable passé devant leurs proches et leurs concitoyens, alors ils aimaient mieux courir le monde et s’exposer dans un but de pénitence aux fatigues et aux dangers, parfois très graves, d’une lointain pèlerinage. […] Il y avait même des fautes qui ne pouvaient s’expier que par un pèlerinage perpétuel. (121)

S’il y a un texte à retenir, c’est celui, corrosif, de Denise Péricard et Louis Mollaret, qui pourfend bien des mythes et remet les points sur les i quant aux tractations qui ont permis le succès que connaît le pèlerinage de nos jours. Ypassaientparlà…

Dans la deuxième partie, on découvre que le pèlerin instruit affectionnait de rédiger un carnet de voyage, et ce dès le XVe siècle. On rencontre celui qui, en 1456, s’est ennuyé et aurait aimé guerroyer contre les Maures, mais a ramené de petites aquarelles de lui-même en guise de photo souvenir. Ou encore celui qui, en 1488, trouve qu’en Espagne il n’y a pas de lieux d’aisances car, en ce pays, ils font leurs nécessités partout, cela est fort infâme.

J’ai trouvé dommage que ne soient ciblés quasiment que des récits se rapportant au passage des Pyrénées, à Saint-Jean-Pied-de-Port, au col de Roncevaux. Je comprend la démarche qui vise à mettre en parallèle différentes époques, diverses expériences, mais l’exercice est répétitif.

Ayant peu goûté la prose catholique, j’ai retrouvé le bonheur littéraire aux côtés de David Lodge, son humour, ses auberges pleines de randonneurs aux genoux poilus.

Si j’avais encore quelques doutes, voilà qui m’aura définitivement convaincue de ne jamais m’engager sur les chemins de Compostelle ! Tous ces cerveaux remplis de questionnements sur eux-mêmes, de motivations religieuses ou civilisationnelles ne valent pas mes chemins de campagne ou de causses, leurs fleurs, leurs chants d’oiseaux, leurs insectes. Car il manque bien un point de vue dans le foisonnement : celui du marcheur humble, du naturaliste attentif, qui n’est que de passage et qui sait que même si le bipède poilu disparaît, la Terre poursuivra sa route et son évolution… (personnellement, le singe éteint, je mise sur l’émergence de la pieuvre à neuf cerveaux…)

 

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