Linda Lê, Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau

Causse du Larzac, Canalettes - Linda Lê, Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau

Causse du Larzac, Canalettes

Ce sont ces alliés substantiels, dont l’absence ferait souffrir, qui viennent ici toquer à la vitre de l’homo lisens afin de l’accompagner le long d’un chemin hérissé d’obstacles, s’il sait, dirait Baudelaire, plonger au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau. (7)

Moi qui dit toujours que j’aime être dérangée, bousculée par la littérature, moi qui croyait en attendre beaucoup… je suis encore loin de la démarche de Linda Lê qui affronte, se laisse enlacer et regarde en face les auteurs les plus noirs. Elle ne recule devant rien : cruauté, déglingue, démence, et a l’habileté d’en tirer quelque chose. Son carnet de lecture est à l’écrit ce que Tracks est à la télévision. Loin d’un Jérôme Garcin qui m’avait passablement ennuyée dans ses rencontres avec les écrivains, elle m’a fait entrevoir des terrains fascinants. Il faut s’accrocher, s’agripper aux rainures, se couler dans les encoignures, avancer à tâtons. Feuilleté, lu et relu par petits bouts pour finir par oser aborder un chapitre de bout en bout, j’ai goûté la langue, merveilleuse de densité, de sens et de musicalité, les formules puissantes, les phrases qui remuent les tripes, mais il n’aurait pas fallu m’interroger trop avant sur ce que j’en avais retenu. Je suis persuadée que j’ai quelque chose à trouver dans ces pages, ça me travaille, mais n’ai pas tout à fait mis le doigt dessus…

Robert Walser de tous se détache. Ahuri vulnérable qui se félicitait d’être un propre à rien, membre de la confrérie des rêvasseurs assez contents de leur dénuement pour ne demander qu’à lézarder, il m’est fort sympathique. Je commencerai par lui dans mes explorations. Louis-René des Forêts, méditatif, subjugué par les immensités obtiendra peut-être lui aussi mes faveurs.

Leur noirceur a des effets toniques, car ils arrachent le voile de Maya et nous renvoient à ce que nous sommes : des instants de chaos. (20)

Les explorateurs de confins à en perdre la raison, les torturés nous exhortant à scruter les abîmes par une fission incandescente de la réalité m’effraient quelque peu. J’ai faim de ces plongées hors de tous les carcans, de la vue pénétrante de ces détracteurs de l’instinct grégaire qui s’abstraient des cohortes moutonnières mais le vide est là, et la noyade possible me laisse un goût nauséeux quand je les aborde. Des arrimages me manquent.

Inutile de se cramponner à une de ces bouées que dispense la raison raisonnante. (27)

 

Face aux verrous, ceux de la réalité, ou ceux, moins tangibles, mais non moins difficiles à briser, qui le poussent à se murer dans son silence, l’étrange étranger se doit de jeter ses fausses clés, ses rossignols, autrement dit ses passe-partout, qui n’ouvrent que les portes des lieux communs, chasse gardée des faiseurs de bluettes vermoulues, précisément appelées aussi rossignols, car même les gobeurs de mignardises se sont lassés de leurs rengaines sirupeuses.

Si l’étrange étranger ne s’engouffre pas dans cette brèche, s’il se fraye une voie isolée, il n’ignore pas que, pour faire retentir l’azur de terribles voix venues d’ailleurs, la seule clé à prendre est celle des champs.

[…]

Délogé de lui-même, évincé par une faune proliférante sitôt qu’il s’est acoquiné avec les démons de son imaginaire, semblables aux monstres démembrés des légendes tibétaines, ces amas de tronçons suspendus dans les airs, ces lambeaux de chair avide, l’étrange étranger n’a plus qu’à dépouiller ses gangues et à recueillir ses exuvies, qui exsudent l’impatience d’être la synthèse des antipodes. Il se libère, vaille que vaille, de la cangue de l’identité en s’arrangeant d’une position précaire, où il est toujours en porte-à-faux. (133)

 

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