Don DeLillo, Zero K

The Rijksmuseum, Amsterdam HA-0011476

Je ne retiendrai pas grand-chose de mon expérience avec ce livre, pourtant loué avec moult adjectifs enthousiastes au Masque et la Plume. Absconse en serait le maître mot. Froide, conceptuelle. Don DeLilo déconstruit le langage et toute notion de temps, de lieu, de personne. Il vide les mots de leur sens pour les réinsérer dans un contexte désincarné. Discussions oiseuses et rabâchages pseudo-philosophiques sans substance engorgent le texte. Le travail d’écriture est parfaitement en harmonie avec son sujet, c’est une qualité que je ne peux dénier. La déréalisation est totale. La décomposition du lecteur aussi, qui va aller se faire renaître ailleurs.

 

 

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Virginie Despentes, Vernon Subutex 1, lu par Jacques Frantz

The Rijksmuseum, Amsterdam RP-T-1955-62

Jacques Frantz m’a surprise. Cette lecture lui va comme un gant. Jusqu’ici, ses excursions dans le polar ou chez Jean-Paul Dubois ne m’avaient pas vraiment accrochée. Sa rencontre avec Vernon Subutex le révèle.

Sans le Masque et la Plume je ne me serai jamais aventurée dans cet univers décadent hyper urbain. Facebook, les identités flottantes, la culture des années 1990 et 2000, ont suscité quelques échos dans ma boîte à musique personnelle. Certains passages culottés m’ont réjouie. Virginie Despentes est assez fine pour faire dire des énormités à ses personnages tout en nous faisant mourir de rire. On est dans le même bain, dans le même jus de déception sociale, son sens du décalage fait tilt. Au-delà de ces coups de pieds dans la fourmilière, je ne peux pas dire que c’est une écoute qui m’ait emballée. Trop de dialogues intérieurs, de défonce, de déprime et de bruit. Mais je comprends que ça puisse parler très fort à une certaine génération de lecteurs. le reflet d’époque sonne juste et naturel.

 

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John Gierach, Danse avec les truites

Massif de l’Aigoual, lac des Pises

Au retour des chaleurs estivales tant redoutées, s’est développé en moi une furieuse envie d’eau qui a débordé jusqu’aux étages littéraires. Quoi de mieux qu’une virée de pêche à la mouche en ce cas ? Rivières chantantes, petits matins dérobés à la clarté du jour et aventures vespérales, échappées de plein air par un de ces jours gris, lugubre, qui est d’ordinaire le meilleur moment pour les éclosions – de quoi combler le manque de contact avec une nature fraîche et frémissante qui est pour l’heure à la peine sous le soleil cuisant et desséchant de juillet.

Le stillhunting est l’art de se tenir tout à fait immobile tout en marchant. (102)

J’ai trouvé les deux premières nouvelles bizarrement traduites puis me suis vite consolée avec la suite. Dans ce volume, John Gierach fait des pas de côté en insérant des récits de chasse. Son ton décalé les rend aussi plaisants que ses histoires de pêche – Pan sait pourtant que je n’ai pas d’affinités particulières avec cette activité (avec la pêche non plus, d’ailleurs !). J’ai beaucoup apprécié son chapitre sur la grouse bleue dans lequel il raconte qu’il a fini par adopter une sorte de gymnastique éthique à l’égard de cet oiseau. Là où la morale s’imposerait, brute et intransigeante, l’éthique expérimente, quitte à être maladroite. Tout cœur humaniste en harmonie avec l’aspect dérisoire et absurde de l’existence se reconnaît dans cette gymnastique.

Je pense que cette fascination que j’éprouve pour le gibier, de même que pour les poissons ou les oiseaux, relève d’une sorte d’envie. Ils vivent en harmonie avec le monde sauvage comme jamais je ne pourrai le faire avec toute la technologie à ma disposition, avec mes besoins de confort et mon pauvre corps maladroit dépourvu de poils. (157)

A l’heure où les populations d’éphémères sont en diminution continue, les livres de John Gierach, qui leur rend indirectement hommage, nous font entrevoir l’impact désastreux de cette disparition silencieuse.

Massif de l’Aigoual – Lac des Pises

Le mont Aigoual

Massif de l’Aigoual

Mare des Pises – Agrions

 

Ce n’est pas à proprement parler une information dénuée d’intérêt, c’est juste une pièce trop petite dans un puzzle bien trop grand, un peu comme quand, toutes les deux ou trois générations, il pleut des grenouilles. (…) Un de mes amis prétend qu’essayer de comprendre ce genre de phénomène est comme enseigner le chant à un cochon : ça peut être intéressant au début, mais c’est une perte de temps, et pour finir ça ennuie beaucoup le cochon. (147)

La différence entre être perdu ou être momentanément désorienté est simplement une question d’état d’esprit. Si vous voyez la chose comme un problème intéressant à résoudre, cela devient une erreur d’aiguillage temporaire; si vous faites une crise, vous êtes perdu. (161)

 

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Le plaisir de faire ses plants bio – Jérôme Goust

C’était au temps des débuts de l’écologie… Charlie Hebdo et la Gueule ouverte nous y avait introduits. Fournier nous avait fait découvrir la bio et Reiser l’énergie solaire… (6)

On peut difficilement faire plus concret et plus en harmonie avec la réalité. Concocté par un producteur de plants bio expérimenté, ce guide plonge les mains dans le substrat et nous installe sous serre solaire passive pour nous faire mûrir. C’est un livre franc et direct, qui n’a rien à vendre par ailleurs et aucune image à tenir (contrairement aux publications de Terre Vivante, par exemple, que j’aime bien, mais qui participent à la promotion de leur magazine, de leurs stages, de leur ferme pédagogique…). Je bricole des semis depuis quelques temps, avec les moyens du bord, et j’ai pioché beaucoup d’indications précieuses, visuelles autant que textuelles, pour améliorer ma pratique. Sans suivre à la lettre la méthodologie parce qu’on a pas l’installation adéquate – serre, véranda, couche chaude – ni le matériel – nappe chauffante, machine à mottes -, on acquiert les gestes essentiels et une certaine assurance. Chez moi les plantules lèvent dans de la simple terre de jardin additionnée de turricules ou de terre de taupe, mais je penserai à l’avenir à rajouter du sable, ce qui devrait améliorer leur confort. Pour ce qui concerne le compost, je n’ai malheureusement pas les moyens d’en faire. Le terreau, pas très envie d’en acheter… Mais puisque ça marche sans… Jérôme Goust nous parle des conditions optimales de germination, qu’on peut heureusement moduler selon notre situation. J’ai particulièrement apprécié les indications précises (température, temps de levée) données pour les semis de fleurs et d’aromatiques. Ce sont souvent les grands oubliés des guides potagers et des blogs de jardiniers et je n’avais jusqu’ici jamais réussi à trouver d’informations détaillées à leur sujet.

Dans les années 70, les jardiniers semaient eux-mêmes la plupart de leurs légumes, directement dans leurs jardins. Il s’agissait de jardiner pour assurer son approvisionnement en légumes toute l’année. Et sur les marchés, les producteurs proposaient une gamme limitée de plants de légumes arrachés […] Le nombre de variétés était limité à celles de tradition dans la région. Point de plants de courges ou de cornichons : chacun les semait en pleine terre. […]

Au tournant des années 80, les serres se multiplièrent, les pots et godets en plastique firent leur apparition… (7)

 

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Paula Hawkins, Au fond de l’eau, lu par Julien Chatelet, Marie-Eve Dufresne, Clémentine Domptail, Ingrid Donnadieu, Lola Naymark

The New York Public Library 5167465

Le test ultime pour évaluer la qualité d’un livre audio : l’emmener en temps de grève SNCF, quand il faut s’entasser dans des bus à l’existence incertaine,surchauffés, où des dizaines et des dizaines de voyageurs sur les dents se disputent les places et une oxygène devenue précieuse, laissant les plus faibles – personnes âgées, malades, diminuées, jeunes enfants, touristes dépassés par la situation -, sur le carreau. Ici je réponds test validé. Les asphyxies romanesques et pulmonaires entrent en résonance. Comme La fille du train, on dirait que ce texte a été intentionnellement écrit pour être adapté en livrodio. Une dynamique de voix, un kaléidoscope d’existences sensibles. De même qu’un comédien peut porter tout un film sur ses épaules, les interprètes donnent vie à ce thriller. Chacun à travers le filtre de sa réalité. Une ambiance s’élève comme une brume de cette rivière qui est le véritable pivot de l’histoire. Les êtres humains en deviennent presque annexes.

 

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Pierre Jourde, Le Tibet sans peine

Massif de l’Aigoual, lac des Pises

Difficile d’adopter la posture du héros quand le mouvement qui pourrait conduite à la mort est aussi celui de l’auguste titubant dans ses chaussures trop grandes. (72)

Pierre Jourde démarre sa mobylette en pétaradant avant de trouver un rythme de croisière. Au début, je suis tombée sur beaucoup de phrases que je ne savais pas par quel bout prendre, je n’entrais pas dans le livre. J’avais l’impression que l’auteur me bombardait d’images et de situations sur un mode à la fois mental, très écrit et potache. Puis la grâce a pointé sa lumière au bord de certaines routes. Plus qu’un récit de voyage, c’est un acte littéraire. Pierre Jourde tente de tirer la réalité de ce qu’il a vécu dans toutes ses contradictions. Les situations extrêmes côtoient les préoccupations triviales. La grande précarité trace son chemin dans un environnement qui ne semble pas fait pour les humains. On ne comprend pas comment tous ces gens peuvent survivre en savate dans la neige en ne se nourrissant que de peanut butter. Inconscience inspirée, clownerie salvatrice, ivresse de l’aridité, c’est une étrange empoignade avec l’existence réduite à l’essentiel et mue par des dynamismes dérisoires, mais entêtés, que ce livre.

La familiarité ajoute encore à l’émotion peut-être, comme lorsque nous sentons que se donne à nous quelque chose qui garde cependant intacte toute sa sauvagerie. Comme l’intimité avec une panthère. (107)

Massif de l’Aigoual

Massif de l’Aigoual – Mare des Pises

Mare des Pises – Agrion

Massif de l’Aigoual – Lac des Pises

 

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Philippe Claudel, Inhumaines


Phrases courtes, personnages vides et impersonnels, saynètes sans substance. La surface de nos comportements sociaux lessivés de leurs fondements fraternels est lisse et glaçante comme une patinoire. On glisse, on dérape. La pulsion est reine, mais toujours justifiée par une bien-pensance caméléon. Un consensus moral et culturel est toujours possible au sein des actes les plus sanglants. Pourvu qu’on respecte les codes établis et tacitement acceptés du moule sociétal… Philippe Claudel trace de sa plume un American psycho à la française où Dieu est à vendre. Le roi sans divertissement, l’humain qui sombre dans l’ennui, se cherche des sensations fortes. J’aime quand ça dérape complètement, quand l’auteur saute à pieds joints dans la fourmilière. Les passages vraiment méchants et certaines phrases en épingle à cheveux sont jouissifs. Mais l’arrière-goût est amer et en-dehors d’un shoot d’irrévérence par-ci, par-là, le livre nous laisse sur une béance. Comme un apéro de cacahuètes qui ne serait pas suivi d’un repas.

 

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Hervé Bazin, Cri de la chouette

Navacelles, la Vis

Avec ses yeux cuits persillés de cils ras, son gros foie d’oie balancé sur des pieds plats, sa voix cacardée du fond de la gorge, Mme Caroux manquait d’allure et le savait. (47)

J’ai retrouvé avec une gourmandise enjouée la gouaille irrespectueuse de Vipère au poing. On sent le rire derrière le stylo, la jubilation de la phrase mordante. Hervé Bazin y va de bon cœur, ressuscite Folcoche dans la pure tradition de l’utérus héroïque. Les scènes de rituels collectifs – enterrements, visites chez le notaire – pétillent d’outrance, de sans-gêne et d’humour. Sur la longueur, le roman est marqué par son époque, les nouvelles conceptions en matière d’éducation sont appuyées, mais on cela ne suscite qu’un léger ralentissement dont on peut s’accommoder sans peine.

Raide en lucidité, Hervé Bazin fouisse l’absurdité des comportements comme leur versant humaniste. Le grotesque de nos existences, où nous sommes empêtrés de nous-mêmes autant que des autres, contraints d’être là par la naissance, n’empêche pas la fraternité entre habitants du même pétrin. Avec la conclusion de sa trilogie, et sans qu’on s’y attende, il atteint avec finesse l’essence de cette étrange partenariat qu’est la relation mère-enfant.

Nous ne nous sommes pas aimés, ma mère, mais j’étais là pour votre dernier soupir, comme vous le fûtes pour mon premier. (263)

La Vis – Demoiselle

La Vis – Demoiselles

Cirque de Navacelles – La Vis

Cirque de Navacelles – La Vis

La Vis – Chabot

 

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Annie Duperey, Les chats de hasard, lu par l’auteur

The Metropolitan Museum of Art, New York 1986.267.52

J’en veux à Annie Duperey d’avoir réussi à me faire pleurer. Petite déjà, me faire manipuler par un film ou un livre au point de verser des larmes m’agaçais et me vexais. Mon premier souvenir très net à ce sujet, c’est E.T. J’avais 8 ans. J’étais très en colère en sortant de la salle. Les séparations déchirantes sont le talon d’Achille de ma sensibilité fictionnelle. La mort des chats m’a donc remuée. Annie Duperey est une excellente conteuse, sa voix fluide et naturelle entoure les épaules, prend dans ses bras le corps de l’auditeur. Elle vient caresser les centres émotionnels, mais sans surcharger. Sa délicatesse à notre égard lui interdit de verser dans l’excès d’épanchement autant que dans une séduction outrée. De jolis moments, des réflexions qui font mouche, sur ces grâces de l’existence qu’apportent les rares et véritables chats de hasard (j’en ai un au potager).

 

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Patti Smith, M Train

Peyreleau, la Jonte

Il y a certains livres que j’ai adorés et dans lesquels j’ai vécu, et pourtant je ne m’en souviens pas. (174)

C’est dans un univers singulier que nous invite à entrer Patti Smith. Une chambre aux murs constitués de livres, traversée par un chemin sinueux de petits cailloux, autour duquel sont soigneusement éparpillés manteaux, chapeaux de cow-boy, pots de peinture, polaroids. Les portes, oniriques, flottent dans l’espace. En enfant orpheline des beats disparus, elle se nourrit du sens secret que dégagent ses objets, vagabonde d’images mentales de lectures en ruminations, associe le rêve à la créativité. On est très loin d’une posture artificielle. Patti Smith se nourrit de poésie, ses mouvements sont portés par la plume des écrivains qu’elle affectionne, sa respiration se fait au rythme des mots. J’ai rarement rencontré une telle harmonie où vie ordinaire et extraordinaire sont mêlées sans que l’une ne gêne l’autre. Son contact avec le fictionnel augmente sa réalité, lui permet d’échapper à la tyrannie du prétendu temps, fermente et mature en tout lieu et à toute heure. La réinvention d’elle-même qu’elle offre à travers ce livre, à la fois authentique et follement littéraire, est un beau cadeau.

Il existe deux sortes de chefs d’oeuvre. Il y a les œuvres classiques, monstrueuses et divines telles que Moby Dick, Les hauts de Hurlevent ou Frankenstein ou le Prométhée moderne. Puis il y a ces textes où l’auteur semble infuser une énergie vitale dans les mots tandis que le lecteur est secoué comme dans une machine à laver, essoré et suspendu pour le séchage. (103)

Peyreleau – La Jonte

La Jonte – Demoiselle

La Jonte – Demoiselles

La Jonte – Demoiselle

La Jonte – Demoiselle

 

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