Maurice Genevoix, un jour

Maurice Genevoix, un jour

Un jour est un roman contemplatif. Je lui trouve des reflets zen. On y rencontre cette présence au monde, cette pleine conscience qui lui sont familières. Fernand d’Aubel, dont le cœur fait confiance à la vie, allie le temps de l’esprit aux arbres, aux oiseaux, aux brumes des étangs…

La langue est plus simple que dans Raboliot. Maurice Genevoix utilise toujours des mots riches et peu usités, mais de loin en loin : exorable, désâmé.

Il exprime sa tristesse face à un monde qui s’effrite devant la course au profit. Il déplore la grande braderie de la vie et de la dignité humaine, ces hommes, tenant à la fois de l’amibe et du voyou, qui sacrifient les espaces naturels sans regrets ni scrupules.

Entre évanescence et racines profondément ancrées dans la terre.

J’imagine que vous en avez rencontré au-delà du supportable, des gaillards intelligents dont la façon d’être intelligents nous ferait remercier le Ciel de n’être qu’un simple d’esprit… Respirons. (72)

Personne n’est seul, en ce sens que nul vivant n’existe qui ne soit distrait de lui-même, et c’est tant mieux. Il faut aimer ceux qui nous distraient de nous. (195)

 

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Marcel Proust, L’indifférent, lu par André Dussollier

Marcel Proust, L’indifférent, lu par André Dussollier

André Dussollier est délicieux. Doux et dynamique à la fois. Expressif et tendre. Enveloppant et stimulant. En quelques minutes se pose une atmosphère. En quelques mots se dégage une relation entre deux êtres. Sans aller se jeter avec angoisse et optimisme mal assuré dans le fleuve du temps perdu, ce livre audio est une escapade plaisante et rapide dans l’univers de Marcel Proust. Idéal pour mettre un orteil dans l’eau de son œuvre sans risquer la noyade.

 

 

 

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Annie Ernaux, L’autre fille, lu par l’auteur

Annie Ernaux, L’autre fille, lu par l’auteur

Une voix frêle, mais décidée. Râpeuse, mais appuyée. On entend l’énergie dense, coriace, qui sous-tend l’écriture d’Annie Ernaux. Avec lucidité, distance, vérité, elle cherche à en finir avec le flou du vécu. Son travail sur la mémoire interpelle. Il est constructif, plein de respect pour les sentiments qui la traversent ou l’ont traversée. Elle ne se juge pas, même si son regard acéré n’est pas toujours simple à soutenir. J’écris pour savoir.

J’avais beaucoup aimé la lettre de Linda Lê parue dans la même collection. Annie Ernaux relève la même gageure avec brio.

L’entretien qui suit la lecture du livre apporte un complément court mais éclairant. Elle nous parle de sa voix, de sa difficulté à l’apprivoiser, de son expérience de lecture à haute voix lors de l’enregistrement de ce livre.

Ma voix intérieure en écrivant n’est pas celle que j’ai en parlant.

 

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Gilles Vigneault, Contes du coin de l’œil

Gilles Vigneault, Contes du coin de l'œil

Les contes sont laconiques, d’une écriture rapide et simple qui se lit toute seule. La phrase est rythmée comme en poésie, il faut que ça sonne. Le résultat de cette escapade de Gilles Vigneault vers les histoires courtes est inégal. À vouloir faire trop original, il perd  parfois en fraîcheur. Les mains qui poussent dans les cimetières, le papier à lettre tueur (dont l’auteur nous offre généreusement une feuille en cas d’envie subite de correspondance), frisent l’alambiqué. Il y a tout de même de jolies réussites, des instants de vie, des opportunités ratés, qui méritent d’être parcourues au coin d’un feu un soir d’hiver.

 

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Marguerite Yourcenar, Nouvelles orientales, lu par Christian Gonon

Marguerite Yourcenar, Nouvelles orientales, lu par Christian Gonon

On commence par la peinture et on finit en peinture dans ce recueil de nouvelles variées aux accents durs et cruels. Elles tiennent du conte, mais sont plus étoffées. Là où le conte est laconique et simple en paroles, elles apportent une teneur littéraire et une écriture poétique solides. Marguerite Yourcenar revisite un fond mythologique qu’elle maîtrise sur le bout des ongles, imaginant des variations, brodant de nouvelles histoires.

La première m’a rappelé le récit mythique de la vie du Bouddha. Un Bouddha qui aurait mal digéré son enfance dorée et surprotégée  au lieu de s’orienter vers une quête spirituelle.

Le moine Athanase Thérapion, dont il est dit qu’en Égypte, il avait ressuscité et évangélisé des momies est effrayant dans sa fixation  inquisitoriale contre les nymphes.

Christian Gonon nous invite à entrer dans cet univers oriental avec énergie, parfois un peu rapide en lecture, mais tout de même agréable à suivre.

 

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Stephen King, Duma Key, lu par Michel Raimbault

Stephen King, Duma Key, lu par Michel Raimbault

J’ai l’impression d’avoir écouté ce livre pendant des jours et des jours… la sensation que des semaines, voire des mois ont été imprégnés de son atmosphère. Il est très long. La mise en place prend beaucoup de temps. Certes, quand sur la fin les pièces se mettent en place, on éprouve un plaisir évident (sans doute amplifié par l’attente). Mais jusque-là, le mystère est distillé à dose homéopathique. Stephen King enseigne la patience à ses lecteurs.  J’ai retrouvé Michel Raimbault qui officiait aussi sur Juste avant le crépuscule. Si son rythme, lent et posé, a son charme, s’il donne corps à Edgar Freemantle, Jack et Wireman avec habileté, j’ai toujours l’impression que son interprétation des textes de Stephen King me fait passer à côté de quelque-chose. Le ton nonchalant, chaleureux, un peu ironique, distancié, fait tomber à plat l’angoisse qui pourrait pointer le bout de son nez. La virée dans la maison maudite a des allures de fête du Beaujolais nouveau. J’ai aimé l’évocation du monde de l’enfance, le fond de l’histoire tient la route, mais je crois que si je veux retrouver le Stephen King de mon adolescence, il me faudra empoigner un livre papier – et un meilleur opus que celui-ci.

 

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Honoré de Balzac, Études de femmes, lu par Thierry Frémont

Honoré de Balzac, Études de femmes, lu par Thierry Frémont

J’aime bien Balzac quand il est acide, quand il décortique les mœurs et les caractères de sa plume d’entomologiste. Ces études sont assez méchantes envers les femmes, mais si bien tournées que la pique est pardonnée et qu’on sourit. Je regrette toujours, quand je lis du Balzac, de ne pas tout saisir du contexte de l’époque et des allusions. Le plaisir est quand même ici entier. La première étude est ironique, l’auteur se joue des apparences de la vertu. La seconde tient du conte cruel. Thierry Frémont, vif, alerte, fait montre d’une grande habileté dans l’interprétation des voix. Il nous amène le texte sur un plateau d’une poigne ferme.

 

 

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Linda Lê, Le complexe de Caliban

Linda Lê, Le complexe de Caliban

Linda Lê est une dévoreuse de livres. Roman, théâtre, philo, rien ne semble sortir du cadre de ses curiosités tant qu’il s’agit de mots. Érudite à juste dose, de cette érudition affamée, chaleureuse et constamment remise en question, elle nous parle de Victor Hugo, de Lautréamont, de Fernando Pessoa, de Joseph Conrad… Les écrivains et leurs personnages – quasiment considérés au même niveau d’existence – sont ses compagnons de routes, la Babel des mots est son refuge.

Elle invite et fait dialoguer les auteurs entre eux. On se perd un peu mais quel plaisir tout de même que de suivre ces échanges improvisés. Évidemment, quand je lis des phrases comme : Et la poésie de Dickinson, roman d’une âme en incandescence, se lit aussi comme une maïeutique par laquelle les variations sur la solitude donnent naissance à une pensée élégiaque (144), je suis perdue. Mais elle aborde tous ces auteurs avec tant de naturel qu’on a envie de se ruer sur leurs livres. Il y a des pages superbes sur Cioran (que je n’ai jamais abordé). Fascinant pour moi qui ne possède pas ces capacités d’analyse.

Linda Lê discute avec les écrivains pour mieux nous parler d’écriture. Les quelques chapitres qui abordent cette question sont passionnants par leur mise en abîme, leur plongée aux tréfonds de l’être, leur analyse du passage de l’indicible à la parole écrite. L’écriture comme ébullition, éruption organique.

Puissant, noueux comme un chêne. Un livre de chevet.

La première fois où je pénétrai dans la bibliothèque du lycée Claude Monet, perché sur les hauteurs du Havre, et que je pus caresser du doigt les livres, alignés tels les soldats d’une armée morte qui attendaient de révéler leur secret, je me sentis riche de toutes les possibilités. (35)

Caliban le monstre, le Minotaure, l’enfant qui rêve, est la part obscure avec laquelle l’écrivain conclut un pacte de coexistence. C’est l’écheveau de fil qui le relient à l’inexprimé, à la vie d’avant les mots. (104)

 

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Terry Pratchett, Sourcellerie

Terry Pratchett, Sourcellerie

Rincevent, dont la mère s’est enfuie avant sa naissance est le héros glorieux de cet épisode. Pour les fans, c’est une fête (et une surprise de taille !)

L’écriture est ciselée, rien n’est laissé au hasard. Le déroulement de la phrase amène à un bon mot, à une réplique qui s’insère parfaitement dans les rouages. Seul Terry Pratchett peut se permettre des phrases telles que : Seul le bruit étouffé de leurs éclaboussures troublait le cholestérol de silence qui étreignait le coeur de la cité (110) sans être ridicule.

À la question du traducteur posée en page 243 : D’ailleurs, vous imagineriez des cavalières de l’Apocralypse ?, je me permettrai de répondre, mais oui, mais oui, mon cher Patrick Couton, pourquoi les filles ne pourraient-elles pas aussi monter sur leurs grands chevaux ?

Du Terry Pratchett pur jus, flamboyant, brillant et jubilatoire.

– Il vous a aidés,vous.” Rincevent se tourna vers les autres mages qui se défilaient en vitesse. “Il vous a tous aidés. Il vous a donné ce que vous vouliez, non ?
– On risque de ne jamais le lui pardonner”, fit Gauchet. (249)

 

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Haruki Murakami, Saules aveugles, femmes endormies, lu par Sylvain Machac

Haruki Murakami, Saules aveugles, femmes endormies, lu par Sylvain Machac

Sylvain Machac est doux et moelleux, on a envie de se lover dans sa voix comme un chat sur un canapé. De chats il est question dans ces nouvelles, de cailloux, de couteaux. Portrait d’une génération qui doit éveiller plus d’échos chez les japonais que chez nous. Pour ma part, je suis restée étrangère à ce livre, indifférente. Les chutes sont passées dans le flux sans je m’exclame C’était donc ça ! ni ne réagisse vraiment. Seule l’annonce du titre de la nouvelle suivante me laissait entendre que la précédente était finie. Je n’ai pas retrouvé la magie qui se dégageait de l’écriture dans 1Q84. Quand l’étrangeté s’invite, elle vire au glauque, au morbide. La version audio ne contient que huit nouvelles au lieu de vingt-trois. Je trouve fort dommage d’avoir tronqué l’œuvre originelle.

 

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