Jeanette Winterson, Pourquoi être heureux quand on peut être normal

Jeanette Winterson, Pourquoi être heureux quand on peut être normal

L’écriture est bordélique. Jeanette Winterson dévide son fil comme un chat déroule une bobine. Ça s’entortille, ça fait des nœuds, ça repart de façon linéaire, pour un temps, à l’image de la mémoire, dynamique et modulable. L’auteur utilise la fiction comme mode de survie. À l’instar d’Elizabeth Munro, elle mêle fiction et réel, construit une autobiographie où l’imagination a une grande part de liberté. C’est apparemment une technique littéraire à part entière, car Jeanette Winterson l’évoque en rapport avec ses études, citant Virginia Woolf et Steiner.

Je préfère continuer de me lire comme une fiction que comme un fait. (182)

Ce parti pris de départ, qu’elle manipule avec maestria, lui permet d’évoquer cette mère dont les proportions sont approximatives et instables, dont la façon d’emplir l’espace se modifie selon les situations émotionnelles et relationnelles. Il y a aussi des passages superbes sur la folie, autour de la page 200. Elle évoque ses séances de folie avec humanité et amitié.

Un coup de foudre total.

 

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Fédor Dostoïevski, Crime et châtiment, lu par Pierre-François Garel

The Rijksmuseum, Amsterdam SK-A-3113 - Fédor Dostoïevski, Crime et châtiment, lu par Pierre-François Garel

The Rijksmuseum, Amsterdam SK-A-3113

C’est une histoire lourde et gluante de culpabilité, d’impuissance, de folie où le monologue intérieur et les dialogues tiennent une place prépondérante. J’ai beaucoup pataugé. La vision de l’existence véhiculée, où la rédemption passe par une souffrance tourmentée est pesante et ne m’inspire pas du tout. J’aurai aimé mieux comprendre les implications du roman, mais la façon dont il est lu ne m’y a pas aidée. Je garde une impression de noirceur et de confusion brouillonne, quelques visages, quelques scènes et la lumière qui ressort des dernières minutes de l’épilogue.

 Il n’aurait rien pu résoudre avec sa raison, il ne faisait que sentir. La dialectique était partie, la vie était venue. (XXVII 23:35)

L’interprétation est très inégale. Il y a d’excellents morceaux, qu’on écoute sans s’en rendre compte (l’assassinat, l’accident de Marmeladof, la première piste du repas d’enterrement), mais aussi beaucoup de passages où il faut s’accrocher pour arriver au bout. Dialogues et monologues pénibles, trop marqués, trop appuyés, trop émotionnels, d’une théâtralité incongrue. Moi qui trouve souvent les lecteurs trop rapides, j’ai régulièrement été agacée par la lenteur, les silences, les soupirs réitérés, les toussotements (volontaires), la mollesse de celui-ci. Ce qui passerait au théâtre avec la stimulation visuelle du jeu de scène, rend mal en livre audio.

[Écouté dans le cadre du Prix Lire dans le noir 2013]

 

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Francis Scott Fitzerald, Gatsby le Magnifique, lu par Emmanuel Dekoninck

The Rijksmuseum, Amsterdam RP-P-1999-548 - Francis Scott Fitzerald, Gatsby le Magnifique, lu par Emmanuel Dekoninck

The Rijksmuseum, Amsterdam RP-P-1999-548

J’ai lu ce roman étant adolescente et il ne m’avait pas du tout plu. À le réécouter aujourd’hui, je comprends mieux pourquoi il a une telle renommée. Il a un charme incontestable. L’écriture est élégante, certaines tournures accrochent l’oreille. Le narrateur a de l’humour dans la première partie du livre. J’ai pris plaisir à l’écouter même si cet univers brillant aux accents romantico-tragiques est assez éloigné de ma sensibilité littéraire. Les tourments dépressifs de Gatsby m’ont laissée relativement indifférente.

Emmanuel Dekoninck a un beau timbre de voix dont il use avec habileté. Il se fond dans le personnage du narrateur avec naturel. Il rend parfaitement tout ce qu’il y a à comprendre du texte : la superficialité des amis de Gatsby,  la vaine quête de ce dernier et ses illusions, le détachement parfois perplexe du narrateur. On se laisse porter sans se poser de questions.

[Écouté dans le cadre du Prix Lire dans le noir 2013]

 

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Honoré de Balzac, Le chef d’oeuvre inconnu, lu par Michaël Lonsdale

The Metropolitan Museum of Art, New York 36.100.112 - Honoré de Balzac, Le chef d’oeuvre inconnu, lu par Michaël Lonsdale

The Metropolitan Museum of Art, New York 36.100.112

Je vais toujours à reculons vers un livre interprété par Michaël Lonsdale. Allergie personnelle ou point de vue objectif sur des lectures qui me semblent toutes uniformes ? Il me donne à chaque fois l’impression d’avoir ingéré le texte,  puis de le restituer avec précaution, par peur qu’il n’explose.

Le chef d’oeuvre inconnu est une petite merveille. Réflexion sur le perfectionnisme autant que leçon de peinture passionnante.

Il y a tant de profondeur sur cette toile. L’air y est si vrai, que vous ne pouvez plus le distinguer de l’air qui nous environne. (X 2:25)

La messe de l’athée m’est apparue larmoyante, empreinte d’un sentimentalisme à la Zola. Mais peut-être que l’enjeu du rapport entre l’hommage humain et le sentiment religieux m’a en partie échappé. J’ai goûté par contre les discrètes touches d’humour. À propos d’un médecin :

De voir le Grand Desplein, cet athée sans pitié pour les anges, qui n’offrent point prise au bistouri et ne peuvent avoir ni fistule, ni gastrite […]  (III 2:06)

[Écouté dans le cadre du Prix Lire dans le noir 2013]

 

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Henry O, New York Tic Tac, lu par Olivier Lecerf et Fabienne Prost

The New York Public Library ps_mss_cd7_95 - Henry O, New York Tic Tac, lu par Olivier Lecerf et Fabienne Prost

The New York Public Library ps_mss_cd7_95

Je me suis amusée avec ces courtes nouvelles ironiques et tendrement moqueuses aux chutes soignées. On finit par comprendre le procédé de l’auteur, mais ça ne gâche rien. Le jeu consiste à deviner comment il va combiner la pirouette finale.  J’ai particulièrement apprécié : Les cadeaux inutiles, La rançon du smoking, Le jour d’actions de grâce, et Un service d’amour. L’écriture est travaillée, un univers se dégage, il y a de jolies formules imagées. On rencontre le monde des petits métiers de New York.

La lecture n’est malheureusement pas à la hauteur du texte. Olivier Lecerf en fait trop, son enjoué d’animateur radio ne varie pas beaucoup. Criard et fatigant. Cependant, une interprétation très réussie de la nouvelle : Le courrier du parc. L’humour de la scène est parfaitement rendu. Fabienne Prost a une diction nonchalante , mâchouille les mots. Quand elle ne lit pas trop vite, la voix est traînante, ce qui lui donne un genre affecté et précieux agaçant.

Ce livre audio est techniquement bâclé, il n’y a souvent aucun blanc entre les pistes. La médiocrité de l’interprétation oblige souvent à se concentrer pour distinguer le texte derrière la lecture. La mise en son gâche le livre, je l’aurai beaucoup plus apprécié sous forme papier.

[Écouté dans le cadre du Prix Lire dans le noir 2013]

 

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Raymond Carver, Les vitamines du bonheur, lu par Julien Allouf

The Rijksmuseum, Amsterdam RP-P-OB-30.551 - Raymond Carver, Les vitamines du bonheur, lu par Julien Allouf

The Rijksmuseum, Amsterdam RP-P-OB-30.551

Le titre est très drôle. Quand on connaît les nouvelles de Raymond Carver, vitamines et bonheur sont irrésistibles de décalage atmosphérique.

De fait, chômage, alcoolisme, bouchons de cérumen propres ou figurés, parsèment la vie des protagonistes. Comment font-ils pour se lever le matin dans un tel vide d’existence ?

l’oncle (qui) s’était mis au lit 23 ans plus tôt et y était toujours semble le plus avisé des hommes.

L’image du bébé moche qui joue avec son paon m’a interpellée. Mais comme toujours, Raymond Carver brode ses chutes en sous-entendus qui m’échappent totalement. Peut-être n’est-ce qu’un genre qu’il se donne,  entourloupe qui fait bisquer le lecteur pointilleux  et se rengorger le fan qui-crois-tout-comprendre-contriarement-aux-non-initiés.

La nouvelle Le boulanger  a un petit air fort goûteux de Stephen King.

Le lecteur est merveilleux de liberté. Il ne semble pressé par aucun impératif. Nul un choix interprétatif , nulle durée de l’enregistrement ne le taraudent. Il n’en fait qu’à sa tête, lit tranquillement, hésite parfois, puis se lance avec justesse.

[Écouté dans le cadre du Prix Lire dans le noir 2013]

 

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Oscar Wilde, Le crime de Lord Arthur Savile et autres nouvelles, lu par Marie-Françoise Coelho

The J. Paul Getty Museum, Los Angeles 84.XD.760.1.6 - Oscar Wilde, Le crime de Lord Arthur Savile et autres nouvelles, lu par Marie-Françoise Coelho

The J. Paul Getty Museum, Los Angeles 84.XD.760.1.6

J’ai lu ce livre adolescente, dans ma période littérature de l’absurde frisant le fantastique : Oscar Wilde, Roald Dahl,  Frantz Kafka, Ionesco. Réécouté aujourd’hui, il m’a déçue. La construction des nouvelles semble promettre de belles chutes qui ne viennent pas vraiment.

Une pique délicieuse envers la société bourgeoise, charitable et bien pensante :

Ma très chère tante, merci de la flanelle pour notre société de bienfaisance, et aussi du guingamp. Je suis tout à fait d’accord avec vous que le désir des pauvres de porter de jolies choses est absurde, mais maintenant, tout le monde est si radical et irréligieux qu’il est difficile de faire comprendre qu’on ne devrait pas essayer de s’habiller comme les hautes classes. (…) Combien vrai, chère tante, est votre idée que les malheureux ne devraient porter que ce qui ne leur sied pas. Je dois dire que je trouve stupide leur anxiété au sujet des vêtements alors qu’il y a tant d’autres sujets beaucoup plus importants en ce monde, et dans l’autre. (V 10:37)

Et la jeune-fille de s’inquiéter longuement des derniers nœuds et des dernières fronces à la mode.

Marie-Françoise Coelho a une voix coulante et apaisante qui conviendrait mieux à des textes féminins intimistes qu’à ces histoires aux personnages à côté de leurs pompes.

[Écouté dans le cadre du Prix Lire dans le noir 2013]

 

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Raymond Dorgelès, Les croix de bois, lu par Denis Wetterwald

The Rijksmuseum, Amsterdam RP-P-1926-1071 - Raymond Dorgelès, Les croix de bois, lu par Denis Wetterwald

The Rijksmuseum, Amsterdam RP-P-1926-1071

C’est un texte lourd, dur, pesant, boueux, que nous invite à découvrir Denis Wetterwald. Il accompagne l’humanité de ces hommes pris dans la tourmente de son côté gouailleux et tendre, donne témoignage de leur impuissance.

Découpé en tableaux, le texte est brutal. L’écriture est réaliste, mais il y a des pointes de poésie, des formules très imagées, qui viennent contrebalancer et rendre encore plus insupportables les scènes de tranchées.

[Écouté dans le cadre du Prix Lire dans le noir 2013]

 

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Philippe Delerm, Dickens, barbe à papa et autres nourritures délectables, lu par Jean-Pierre Cassel

Philippe Delerm, Dickens, barbe à papa et autres nourritures délectables, lu par Jean-Pierre Cassel

Philippe Delerm essaie d’évoquer des expériences communes, des sensations, des gestes, des pensées qu’on partagerait avec lui dans certaines situations. C’est peut-être un grand solitaire qui n’a trouvé que ce moyen-là pour se rassurer sur son sentiment d’appartenance à la fraternité humaine. Des fois ça fonctionne, et souvent ça ne fonctionne pas. On a pas toujours la même vie que Philippe Delerm. On a pas de salon avec table basse où poser des magazines de décoration pour frimer. On a jamais eu de logement assez grand pour qu’il y eut un salon, d’ailleurs. Alors on se retrouve en porte-à-faux. On a pas envie de le chagriner, Philippe, mais non, désolés, vraiment, on est pas tous pareils. Jean-Pierre Cassel essaie de noyer le texte dans un sentiment de délectation savoureuse, des musiques incroyablement présentes pour si peu de texte renflouent la barque percée d’une écriture plate. Même les évocations littéraires ne volent pas haut. On coule.

Comment admettre qu’un capitaine de bateau soit une épave ? (IV 3:28)

 

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Honoré de Balzac, Un contrat de mariage, lu par Jean Debucourt

Honoré de Balzac, Un contrat de mariage, lu par Jean Debucourt

Cette histoire a bien dû faire rire les gens de l’époque. Et faire grincer les dents ou faire couler les larmes de certains autres. Pour nous autres, pauvres habitants du vingt-et-unième siècle, les tenants et les aboutissants de ce récit sont plus obscurs. Que de tractations aux termes malaisés à saisir ! On comprend tout de même qu’en gros, un couillon amoureux aux poches bien garnies se fait pigeonner en beauté malgré les conseils avisés de son vénérable notaire. Je reste curieuse de savourer les subtilités  de cette entourloupette, je suis frustrée d’être passée à côté. Il faudra que je réécoute ce livre, un dictionnaire encyclopédique sous la main.

 

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