Carole Martinez, Du domaine des murmures, lu par Isabelle Carré

Carole Martinez, Du domaine des murmures, lu par Isabelle Carré

J’étais très dubitative par rapport à l’histoire que raconte ce livre en le chargeant dans mon baladeur. Des bruitages, des musiques originales, bien dosés et finement distillés ont tout d’abord annoncé un objet sonore soigné, comme sait en faire Gallimard. Puis Isabelle Carré… merveilleuse lectrice, centrée et paisible, incarnant la jeunesse éperdue en même temps que la liberté farouchement affirmée de l’héroïne. Carole Martinez dépeint un XIIe siècle brutal et effrayant. Même l’amour courtois en prend pour son grade. Le traitement littéraire de son sujet est habile. De cette alchimie naît un livre audio fascinant à tous égards et qui vaut le détour.

 

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Younghill Kang, Au pays du matin calme

Younghill Kang, Au pays du matin calme

C’est un récit simple au charme décousu. Les anecdotes se succèdent, dépeignant, entre deux citations de poèmes, le paysage d’une Corée rurale hors du temps, telle qu’elle existait avant l’annexion japonaise de 1910. Peinture et poésie, contemplation de la nature, tiennent une place prépondérante dans l’échelle de valeurs de la communauté. Younghill Kang évoque, à travers les souvenirs de son enfance, les déboires des marieurs à la langue agile, une structure sociale où les hommes et les femmes vivent dans des mondes aussi différents que ceux des chiens et des chats, une culture basée sur la vénération du passé. Enfant lucide au milieu de l’illusion générale d’un monde immuable, il perçoit l’imprégnation grandissante de la culture japonaise et la nécessité de se familiariser avec elle. J’ai admiré son courage quand il prend la décision de décevoir sa famille pour suivre sa voie. L’auteur ne s’étend pas plus qu’il ne faut sur les emprisonnements, les tortures, les remous politiques, ce qui laisse le charme du début intact, comme une continuité poétique perdurant au-delà des déchirements.

Mon père et ma grand-mère avaient choisi au marché les soies, cotonnades et toiles pour remplir les tiroirs. (..) Elles furent envoyées à la fiancée pour la confection de son trousseau. Durant cette période consacrée aux préparatifs, certaines jeunes-filles cousaient les vêtements d’une vie entière et n’avaient plus jamais besoin d’en acheter, la mode ne variant pas durant des centaines d’années. (68)

 

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Yasmina Khadra, Ce que le jour doit à la nuit, lu par André Pauwels

Yasmina Khadra, Ce que le jour doit à la nuit, lu par André Pauwels

Il y a d’inventives métaphores dans cette écriture, de bien belles images. Les plongées évocatrices de l’extrême pauvreté sont réalistes tout en portant en elles une atmosphère de conte, ce qui adoucit la douleur et le sordide. La chute, le départ, le déracinement présageaient d’un récit prenant. Mais passée la découverte, la mise en place, l’arrivée en ville, je me suis beaucoup ennuyée. C’est trop long. Les histoires d’amours, les conflits, les jalousies, les trahisons, les interminables tergiversations morales ont eu raison de ma sympathie pour ce roman. Ne parlons pas de la fin, pathétique et larmoyante au possible.

André Pauwels, sympathique raconteur, prend des voix forcées et mièvres dès qu’il s’agit de faire parler un enfant ou une femme. Vouloir imiter au sens propre la voix d’un enfant ou d’une femme me semble un parti-pris maladroit. En tout cas ici, cela ne fonctionne pas du tout. On dirait une petite-fille de cinq ans faisant parler ses poupées.

 

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Alice Munro, Du côté de Castle Rock

Alice Munro, Du côté de Castle Rock

Alice Munro est une grande conteuse, dans la lignée d’Elizabeth Goudge. Elle balaye sa mythologie familiale d’un souffle d’aventure. J’ai adoré sa démarche consistant à mêler des fragments de réalité et la fiction. Elle recueille des données éparses sur sa généalogie et brode des histoires, se la raconte à sa façon et se construit des fondations. C’est une tactique que nous employons tous les jours de notre vie, dans une tentative visant à nous appuyer sur une identité cohérente.  C’est cependant rarement conscient. La grande finesse des personnages lui permet de ne jamais sombrer dans le banal. Tout ce qu’elle raconte prend naturellement la dimension d’une histoire. Mon troisième coup de cœur de l’été avec les plumes d’Emmanuelle Paganno et de Jeanette Winterson.

Les fleurs de cerisier me firent penser aux arbres du champ de Miriam McAlpin. Je voulais les voir en pleine floraison. Et pas seulement les voir – comme on pouvait le faire en les regardant de la rue – mais pénétrer sous ces branches, m’étendre sur le dos, la tête contre un tronc, pour le regarder s’élever comme sortant de mon crâne, monter et s’épanouir, se perdre dans une mer de fleurs renversée. (201)

 

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David S. Khara, Le projet Bleiberg, lu par Emmanuel Curtil

David S. Khara, Le projet Bleiberg, lu par Emmanuel Curtil

Mossad, nazis, CIA, traders, pognon,… David S. Khara ne lésine pas sur les ingrédients. Au piment il rajoute du harissa pour un polar détonant et lourdingue. Bernard, Ethan, Jeremy sont des mâles qui vivent d’adrénaline. Même la fille fait dans le viril. Du flingue, du code secret, c’est efficace, du roman d’action brute. Mais un brin d’humour pointe son nez… un zeste d’ironie décalée. L’intrigue prend des proportions tellement grotesque que ça finit par être drôle. La fureur est rattrapée par le second degré.

A l’audio, il y a un gros manque de transitions entre les différents narrateurs/personnages. Une petite musiquette pour chacun n’aurait pas été de trop. L’auditeur s’égare…

 

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Arnaldur Indridason, La muraille de lave, lu par Jean-Marc Delhausse

Arnaldur Indridason, La muraille de lave, lu par Jean-Marc Delhausse

Les polars aux personnages récurrents sont comme de gros doudous. Des doudous pour grandes personnes, qui plongent à deux pieds dans un univers familier, avides de découvrir comment a évolué l’enquêteur, le commissaire, la juge depuis sa dernière aventure. Avides de les voir de nouveau malmenés, en proie au doute, en perdition, puis finalement assez lucides pour aller au bout de l’énigme. C’est rassurant, dans l’incertitude ambiante. Arnaldur Indridason joue avec nos attachements et choisi cette fois-ci un personnage secondaire de ses romans précédents pour mener l’enquête, Sigurdur Oli. L’entourloupe m’a amusée. Cette muraille de lave est basée sur une construction classique dans le polar nordique avec des allers-retours présent-passé, pensées d’un assassin-récit de l’enquête. Arnaldur Indridason la manipule cependant en s’en affranchissant, la déviant un peu de sa route. Un roman policier solide, qu’on écoute avec plaisir, même s’il ne fait pas preuve d’une originalité notable.

 

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Catherine Cusset, Indigo, lu par Cécile Cassel

Catherine Cusset, Indigo, lu par Cécile Cassel

Cécile Cassel démarre en rafales. L’inquiétude, le stress suintent. Les personnages surnagent au milieu de leurs déboires et de leurs tourments. C’est tellement jouissif de visualiser toutes ces personnes aux prises avec leurs emmerdements ! J’avoue que c’est ce qui m’a procuré le plus de plaisir à l’écoute de ce livre. Bon. Ce n’était peut-être pas le but de l’auteure. Tant pis ! Le ton de Cécile Cassel s’adapte, porte le texte. Désastres et effondrements. L’effet hors contexte de cette parenthèse constituée par le festival provoque des ravages. Les remises en question et les effets boomerang du passé ne sont pas tendres mais construisent petit à petit une histoire originale qui ne donne pas du tout du tout envie d’aller en Inde.

 

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Tracy Chevalier, Prodigieuses créatures, lu par Danièle Lebrun et Julie-Marie Parmentier

Tracy Chevalier, Prodigieuses créatures, lu par Danièle Lebrun et Julie-Marie Parmentier

Moi qui aime traîner les pierriers le nez à terre dans l’espoir de trouver des fossiles, j’étais très intriguée par ce sujet original. Danièle Lebrun est excellent, tour à tour furieuse, enjouée, curieuse, extasiée. Elle a un beau timbre de voix. Elle est en belle harmonie avec Julie-Marie Parmentier. À elles deux, elles portent la tension du roman, qui tient pour grande partie dans leur relation à la fois distante, prudente, et faite d’estime mutuelle. Tracy Chevalier ne tombe pas dans les clichés, ne donne pas au lecteur ce qu’il s’attend à trouver, mais chemine sur des chemins de traverse. Les dialogues avec la religion sont amusants. La façon dont on percevait les fossiles à cette époque est intelligemment amenée. Si l’on rajoute un habillage sonore travaillé, bien dosé et plaisant, on peut conclure que ces Prodigieuses créatures habitent un audiolivre abouti, charmant sur tout les plans.

 

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Nathalie Peyrebonne, Rêve général

Nathalie Peyrebonne, Rêve général
Un court livre écrit gros, beaucoup de banalités, des personnages sans consistance et stéréotypés. Les partisans de l’abstinence croûstique font partie d’une sphère de questionnements qui m’a laissée froide. Peyrebonne hésite entre guimauve et grinçant sans jamais aller nulle part. La révolution molle et hilare était pourtant une idée amusante. Mais survoler le quatrième de couverture suffit pour dire qu’on a lu le livre tant il n’est que le brouillon d’une idée qui n’a trouvé aucun développement.

 

 

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Emmanuelle Pagano, Un renard à mains nues

Emmanuelle Pagano, Un renard à mains nues

J’avais pris la bonne résolution de lire cet été des auteurs que j’aime au lieu de laisser aller ma curiosité vers le premier bouquin venu me faisant de l’œil sur les étals de la médiathèque. Peine perdue. Résolution non tenue, frémissement du cœur en vue ! J’ai eu un véritable coup de foudre pour l’écriture d’Emanuelle Pagano.  Les descriptions de sensations, d’états d’être, sont fines et précises. Elle nous parle de la translation de la conscience de soi, de l’imprégnation des bruits, de l’air, des choses vues. Elle met les mains dans la crasse, les ordures, avec délicatesse, douceur et respect, réaffirme la dignité de la complexité humaine au sein du monde standardisé.

Portraits de quelques pages, dialogues intérieurs, personnages qui resurgissent à l’improviste dans des relations interpersonnelles qu’on ne soupçonnait pas, le procédé est exactement le même que dans le nullissime Heureux les heureux. Sauf qu’ici il y a une voix aux accents particuliers qui murmure tendrement à l’oreille du lecteur, des portraits habités bien que dépenaillés, l’amour du livre et de lecture, un travail sur l’écriture, une magie qui pétille de tous ses feux. Yasmina Reza peut aller se rhabiller.

Il s’assoit. Il est très sale, il pue, il a un visage mangé de poils et de cheveux, et, sous eux, un drôle d’air angélique, très doux, blanc cassé. Un blanc cassé pas terre, plutôt une sorte de lueur atténuée par la confusion des poils et la crasse qui la recouvrent. Il est si barbu qu’on pourrait de loin et par inadvertance , le croire cagoulé. Il est tellement fangeux que j’imagine sa peau comme un terreau où planter des fleurs, son haleine comme un fertilisant, tout son corps à jardinier. (86)

 

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