Tony Hillerman, Rares furent les déceptions

Massif de l’Aigoual - Vallée de la Dourbie - Rares furent les déceptions de Tony Hillerman

Massif de l’Aigoual, vallée de la Dourbie

Les amoureux des romans policiers de Tony Hillerman seront bien inspirés de commencer ce livre à la page 271 sous peine, comme moi, de sombrer dans un ennui perplexe et un chouïa déçu avant d’arriver au goûteux de l’affaire. Une fois savourée cette maigre – mais savoureuse tranche – on pourra toujours, éventuellement, parcourir le reste. Car la plus grande partie de cette autobiographie est consacrée à la jeunesse de l’écrivain en Oklahoma, à son expérience de la guerre, puis à sa carrière de journaliste politique et d’enseignant. J’ai eu le plus grand mal à m’y intéresser. Le style est sans relief, succession d’anecdotes racontées avec une bonhomie qui étouffe les aspérités existentielles. Il parle peu des amérindiens – évoque juste les potawatomis qui vivaient dans l’Oklahoma de son enfance – ne parle pas de la région de Four Corners et de ses paysages, n’aborde quasiment pas son travail d’écrivain. Dans cette première partie, quelques phrases seulement ont attiré mon attention. En page 172 (rencontre avec des Navajos), 194 (l’amour dans ses romans), 201 (Leaphorn et Chee), 254 (la valeur du détail).

La tribu fit plus que de compenser cette rebuffade en me décernant une plaque qui me déclare : En témoignage de remerciement et d’amitié pour la description authentique de la dignité et de la force de la culture navajo traditionnelle. (272)

Mais page 271, ça démarre pour de bon et généreusement. Il n’y a plus qu’à sortir ses précieux volumes de la bibliothèque pour se remémorer les enquêtes et enrichir notre expérience de ses commentaires à leur sujet.

[…] j’essayais de diagnostiquer où se situaient mon savoir-faire, et mon absence de savoir-faire. Je conclus que j’étais adroit pour les descriptions, bon pour faire progresser la narration, et que les dialogues ne me posaient pas de problèmes. […] Au vu des conclusions ci-dessus, je décidais d’écrire une histoire dans laquelle le décor serait plus important que la pièce qui allait s’y dérouler. Si les acteurs et la pièce elle-même étaient faibles, je parviendrais peut-être à rendre ce décor suffisamment intéressant pour porter le livre. (289)

Et voilà pourquoi nous nous retrouvons avec des polars (genre qu’il a choisi parce qu’ils ne nécessitent que quatre-vingt mille mots environ) dont la magie principale irradie des paysages désertiques des Four Corners… Son intention première n’était même pas de placer les Navajos au premier plan.

Vers le début du livre, mon professeur de fiction avait besoin de demander des renseignements à un ami, policier de la tribu. Je l’appelai Joe Leaphorn, un nom qui n’avait strictement rien de navajo et m’avait été suggéré par le livre de Mary Renault sur la culture ancienne de la Crète (La danse du taureau) dans lequel des cow-boys crétois sautaient par-dessus les cornes de taureaux. [Leaphorn : de to leap, bondir, sauter, et horn, corne. N.d.T](290)

Je pensais trouver un ami littéraire formidable et n’ai finalement pas d’affinité particulière avec l’homme qui se cache au fond du hogan. Tony Hillerman, ce chrétien qui considérait que Dieu veillera à dispenser punitions et récompenses et qui interrompait son travail d’écriture pour assister à la messe dominicale, m’a finalement donné tout à fait autre chose. Le signe de son amitié sincère et humble pour la tribu navajo et le mystère de la littérature…

Il m’est, à l’occasion, arrivé d’utiliser le terme d’Américain des Origines. J’ai été guéri de cette erreur lorsque la Smithsonian fonda officiellement son département consacré aux objets d’art et d’artisanat hérités de l’histoire des tribus et nomma un Indien à sa tête. Il vint à Santa Fe où l’on réunit des experts pour aborder les problèmes de ce nouveau département et je fus invité à en faire partie. Nous étions une petite dizaine, je crois me souvenir, pour représenter Hopis, Navajos, Apaches Mescalero, Cherokees, Choctaws, Modocs, habitants du pueblo de Taos ainsi qu’une ou deux tribus de l’Est qui avaient réussi à échapper à la politique d’extermination totale de nos ancêtres britanniques. Je siégeai en tant que représentant des Américains-Bâtards. L’une des premières questions posées par le public avait trait au terme que les participants à cette table ronde préféraient se voir attribuer.

Le premier à répondre demanda à tous les gens présents dans le public qui n’étaient pas nés aux États-Unis de lever la main. Deux se manifestèrent. Dans ce cas, conclut-il, tous les autres sont des Américains d’Origine. Nous sommes tous des descendants d’immigrants. Il déclara que les membres de son peuple préféraient le nom de Modocs, mais que si nous ne connaissions pas leur tribu, ils préféraient le terme d’Indiens. La parole passa donc de l’un à l’autre, chacun des intervenants affirmant préférer le nom de sa tribu, et précisant que les Indiens se désignent entre eux par le terme d’Indiens s’il s’agit d’une tribu qui leur est inconnue. Le verdict fut unanime, l’Apache terminant en disant qu’ils étaient seulement reconnaissant à Christophe Colomb d’avoir cherché à atteindre les Indes et non la Turquie [Turkey, le nom anglais de ce pays, désigne également un dindon. N.d.T]. Le Cherokee affirma que la véritable insulte consistait à être nommé peuple indigène. Dans la mesure où l’hémisphère ouest ne comporte pas d’espèces de primates dont l’humanité ait pu descendre, ça laissait supposer qu’ils étaient le résultat de l’évolution d’une autre espèce, les coyotes peut-être, et qu’ils n’étaient pas réellement des êtres humains. Le Navajo conclut cet échange de vues en nous proposant à tous de nous réjouir que Colomb ne se soit pas imaginé qu’il débarquait sur les îles Vierges : un exemple de ce sens de l’humour qui fait des membres du Dineh mon groupe humain préféré. (294)

 

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