Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs, lu par Grégori Baquet

The Metropolitan Museum of Art, New York 27.181

Étaient-ce les fractures de mon crâne qui m’avaient donné une étrange acuité pour déceler les arachnides ? Aucun médecin ne m’avait signalé que les chocs au cerveau développeraient pareille disposition. (1:56:25)

J’ai été surprise que Sylvain Tesson arrive à me faire sourire et même presque rire. Il y a dans ces chemins noirs une autodérision touchante, une certaine fraternité avec les visages décomposés de Picasso, qui, dit-il, le consolent de sa nouvelle dégaine de freak.

Ceci dit, malgré l’art accompli de Grégori Baquet – rythme, accentuation, grande concentration, pauses entre les mots – et les bruitages de vent, de pluie et de rivières, j’ai beaucoup décroché. Difficile de garder une attention continue. Les évocations de voyage ne se font que par petites touches. Des mots surgissent, qui me réveillent, lézard, Jean-Henri Fabre, le vol des vautours par-dessus les ancolies, Giono. Le reste du temps, Sylvain Tesson analyse, extrapole, réfléchit. Cet homme pense trop pour être un bon compagnon de randonnée. Le lyrique empiète sur l’authenticité. Le théorique reste trop général. Il a souvent l’art de ne rien dire avec beaucoup de conviction. Il s’invente une identité faite de petits bouts de littérature. Au contraire de Patti Smith dont les hommages littéraires sont humbles et vivifiants, les siens se gravent dans le marbre de sa personne.

Au Tibet, les pèlerins tournaient aussi autour des montagnes sacrées, en haillons, avec des regards hallucinés dans des faces de charbon. Au fond, pèlerinage de clochards et randonnée américaine revenaient au même : se désennuyer. (1:17:02)

Le sujet, pourtant, ne pouvait que me séduire. Je suis une adepte convaincue de la stratégie de la rétractation. Les sentes sauvages enchantent mes pas. Les déboires liés aux tracés fantômes des cartes IGN me sont familiers. Mais le voyage de Sylvain Tesson, savamment mis en forme entre relecture du territoire, cartes postales et généreuses plâtrées de réflexion, prend fort peu vie. C’est trop écrit. Lourd, asséné. On a le sentiment diffus qu’une grande partie du parcours n’a pas été noir, ou du moins que le marcheur a été déçu de la réalisation de son projet. Qu’il n’a pas rencontré ceux qu’il cherchait, la confrérie qui se [déplace] par elle-même. Et puis il y a vraiment trop d’êtres humains dans ce livre. De ruralité, d’agriculture, de plans d’urbanisme. Pour quelqu’un qui veut sortir du dispositif, il manque de courants d’air et de plumes d’oiseaux dans la tête.

 

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