Vladimir Arséniev, Dersou Ouzala

Massif de L’Aigoual, lac des Pises

Dans la taïga oussourienne, il faut toujours prévoir la possibilité de se trouver face à face avec des fauves. Mais rien n’est aussi désagréable que de se heurter à un être humain. La bête, généralement, se sauve à la vue d’un homme et ne l’attaque que si elle est pourchassée. Dans ces cas-là, chasseur et animal savent ce qu’ils ont à faire. Un être humain est tout autre chose. Il n’y a pas de témoins oculaires dans la taïga, aussi la coutume a-t-elle créé cette tactique singulière : l’homme qui en aperçoit un autre doit tout d’abord se cacher et tenir sa carabine prête. (77)

L’écriture est simple et humble, sobre en sentiments personnels. Le narrateur, en sa qualité d’observateur scientifique, s’efface, se glisse derrière les bouleaux, ratons laveurs, polatouches, chênes et grimpereaux. Il rapporte des bruits, des sensations. Le cri aigu, perçant et court de l’écureuil, la chaleur de l’air, la terrible piqûre des gnouss, le souffle de l’ours. Les descriptions des mœurs côtoyées et des paysages traversés n’ont pas beaucoup de relief pour notre goût actuel. On a le sentiment d’un monde lointain qui se dérobe à notre compréhension. Le passage qui se situe entre la première rencontre avec Dersou et la seconde est assez lancinante et morne. C’est le Gold, qui, par sa présence, fait respirer le livre. On découvre un pisteur hors pair, à l’égal de l’inspecteur australien Napoléon Bonaparte, du navajo Joe Leaphorn, voire même de Sherlock Holmes. Il est à la fois touchant et insaisissable. En refermant l’ouvrage, on se dit qu’Akira Kurosawa en a tiré toute la substance.

La nuit, quand on voit une lumière, on ne peut en déterminer la proximité ni l’éloignement, pas plus que le degré d’élévation au-dessus du niveau de la terre. Elle apparaît simplement quelque part dans l’espace. (105)

Massif de l’Aigoual

Massif de l’Aigoual

Massif de l’Aigoual – Cuivré de la verge d’or

Massif de l’Aigoual – Lac des Pises

 

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Alice Munro, Les lunes de Jupiter

Saint-Sernin-sur-Rance

Je ne crois plus aujourd’hui que les secrets des gens soient définis et communicables, ni que leurs sentiments soient pleinement épanouis et facilement reconnaissables. Tout ce que je puis dire, c’est que les soeurs de mon père frottaient le plancher à la lessive, qu’elles nettoyaient l’avoine et trayaient les vaches à la main. (…) C’était cela, leur vie. Les cousines de ma mère se comportaient autrement : elles se déguisaient, se photographiaient mutuellement, elles disaient des boutades. Quel qu’ait été leur comportement, elles sont toutes mortes maintenant. Je transporte quelque chose d’elles, en moi. Mais la pierre a disparu, le mont Hébron a été tronqué, et cette vie qui est enterrée là, il faudrait y réfléchir à deux fois pour la regretter. (61)

La construction de la première partie de Les Chaddeley et les Fleming est terriblement émouvante avec ce canon qui revient en motif de fin. J’ai aimé la compagnie des quatre demoiselles aux lourdes poitrines impressionnantes et aux ventres et postérieurs amples et corsetés qui viennent bousculer la vie convenable de leur cousine de la campagne et de sa famille, leur fournissant un lien (…) avec le monde réel, prodigue et dangereux.

Passé La saison des dindes, et jusqu’aux dames Cross et Kidd dans leur maison de retraite, le recueil prend une tonalité très intérieure. Les nouvelles tournent principalement autour des relations amoureuses : tomber en amour, quitter, se libérer, s’attacher, regretter. Désarroi et désordre des vies. Les gens ne se rencontrent pas vraiment. Toute relation semble être un malentendu avec lequel on se débrouille comme on peut. J’ai eu du mal à trouver une accroche véritable avec ces récits, j’ai survolé. C’est le livre d’Alice Munro que j’aurai le moins apprécié de toutes mes lectures. Elle y dessine un rapport singulier à l’existence et aux êtres, semble nous demander avec tristesse ce que nous fabriquons là, à tourner en rond.

Pas le temps de dire ouf. Roberta ne crie pas. Georges ne met pas le pied sur le frein. La grosse voiture les dépasse, comme un bolide, un énorme bolide noir, sans lumière et semble-t-il, sans bruit. Elle sort du maïs noir et remplit l’espace, droit devant eux, de la façon dont un gros poisson plat, glissant dans l’eau, paraît surgir soudain dans l’aquarium. Elle ne semble pas être à plus d’un mètre de leurs phares. Et puis, partie ! disparue dans le maïs, de l’autre côté de la route. Ils continuent. Ils continuent sur la route du Téléphone, tournent dans l’allée, s’arrêtent et restent assis dans le camion, dans la cour, devant la forme noire de la maison à demi restaurée. Ce qu’ils éprouvent n’est ni de la terreur, ni de la gratitude – pas encore. C’est une impression d’irréalité. Ils sont comme la voiture fantôme, le poisson noir : irréels, aplatis, ils planent, détachés des événements passés et à venir. (243)

Saint-Sernin-sur-Rance – Statue-menhir

Saint-Sernin-sur-Rance – La dame de Saint-Sernin

 

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Henry James, La maison natale

La grise bibliothèque municipale de Blackport-on-Dwindle, tout en granit, brouillard et romans féminins.

Les écrits d’Henry James suscitaient chez moi une grande curiosité depuis de nombreuses années – le temps qui habite notre conscience littéraire est beaucoup plus fluide et étale que le temps ordinaire, les désirs y sont déjà en eux-mêmes une satisfaction. Henry James, donc, un nom terriblement romanesque. Le tour d’écrou, un film dont je garde un grand souvenir. Et voilà la graine plantée dans le terreau de mes projets. J’ai pris ce recueil au hasard, simplement parce qu’il était là, disponible sur l’étagère de la bibliothèque. Le plaisir n’a pas été à la hauteur de ma longue imagination. Le déplaisir non plus. Le livre renferme des histoires qui me parlent à condition que je tende vraiment l’oreille. Je n’adhère pas aux tournures mélodramatiques employées, mais à la finesse psychologique des personnages, oui. Comme si l’auteur cherchait des prétextes en bâtissant des contextes pour ensuite s’éclater dans de minutieux méandres mentaux. La première nouvelle, La maison natale, m’a vraiment parue très singulière. Elle déstabilise par son sujet, son mystère, ses non-dits, son univers décalé. J’ai peiné, mais apprécié au final. La froide et élégante ironie du style est à la fois séduisante et dérangeante. J’ai quand même fini par abandonner au seuil de l’avant-dernière nouvelle.

 

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Anne Sverdrup-Thygeson, Insectes : un monde secret

Peyreleau, la Jonte

La couverture donne l’impression d’un ouvrage naturaliste traditionnel, mais finalement le ton est familier, branché. Anne Sverdrup-Thygeson m’interpelle sur un ton enjoué comme une démonstratrice de grande surface ou une animatrice de club de vacances. Je n’ai pas besoin d’être animée pour m’intéresser, je ne cours pas après ce style de vulgarisation démonstratif, mais il faut avouer qu’elle le fait bien. Le point positif reste que le livre est très accessible.

Les anecdotes se succèdent, on a parfois peine à les croire. Le papillon machaon et ses yeux sur le pénis, Le Grand Indicateur du Mozambique et ses coins à miel, la décapitation des mouche du vinaigre ou la réserve d’algue du paresseux, m’ont beaucoup plu. En apprendre plus sur l’intimité fonctionnelle des bestioles que je fréquente et photographie au fil des saisons, comme les libellules, a fait frétiller mes cellules grises.

Leur cerveau est également boosté pour une acuité visuelle hors norme. Quand nous, les humains, regardons une série de clichés en accéléré, s’il y a plus de vingt images environ par seconde, nous la voyons comme un mouvement fluide, un film. Un odonate, en revanche, peut voir jusqu’à trois cent images séparées par seconde et cerner parfaitement chacun d’elles. (52)

Sur la longueur, le rythme fatigue. La succession rapide des sujets fait naître une certaine forme de lassitude, on peine à reprendre son souffle. Anne Sverdrup-Thygeson a fait un plan par thèmes et s’attache à le remplir. Certains sont plus fluides que d’autres, tel le chapitre sur insectes gardiens. Ici elle est à son affaire, à ses amours, cela se sent.

Lorsque champignons, insectes, mousses, lichens et bactéries y élisent domicile, on trouve plus de cellules vivantes à l’intérieur d’un arbre mort qu’il n’y en avait de son vivant. (169)

C’est d’ailleurs un aspect fascinant de notre monde : en décomposition permanente, il fonctionne sur un mouvement perpétuel de recyclage. Mort et digestion se succèdent sans interruption sous nos pieds. De quoi méditer sur la vacuité décrite dans les enseignements bouddhistes…

[Lu dans le cadre de ces fabuleuses masses critiques]

Peyreleau – La Jonte

La Jonte – Demoiselles

La Jonte – Demoiselles

La Jonte – Demoiselles

 

Le grand biologiste suédois Carl von Linné a mis les insectes dans un groupe spécifique, entre autres parce qu’il pensait qu’ils ne possédaient tout simplement pas de cerveau. Normal qu’il ait pensé cela, car si vous coupez la tête d’une mouche du vinaigre (drosophile), elle peut vivre peu près normalement pendant plusieurs jours. Elle peut voler, marcher et s’accoupler. A vrai dire, elle finira par mourir de faim, car sans bouche, point de nourriture. La raison pour laquelle même décapitée la bestiole fonctionne, c’est que les insectes, outre un cerveau principal dans la tête, possèdent aussi un cordon nerveux qui traverse tout leur corps, avec des « petits cerveaux » dans chaque segment du corps. Ainsi de nombreuses fonctions peuvent être commandées indépendamment de la tête. (53)

D’ailleurs, de quelle couleur est le zèbre sous ses rayures, y avez-vous réfléchi ? Car la peau n’est pas rayée. Elle est noire. Autrement dit, le zèbre est noir avec des rayures blanches, et non le contraire. (105)

Les Égyptiens ont peut-être eu l’idée de la momification en observant les coléoptères. Car qu’est-ce qui ressemble le plus à une pupe de coléoptère, sinon une momie ? Il a même été proposé, sur le ton de la plaisanterie sans doute, que les pyramides soient les représentations sacrées des tas d’excréments où le pharaon mort gît comme une pupe momifiée, dans l’attente de la métamorphose de la renaissance. (187)

 

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Honoré de Balzac, Illusions perdues, lu par Pierre-François Garel

Brooklyn Museum, New York 42.6

Chacun consentait à l’avoir pour égal, nul ne le voulait pour supérieur. (9’20)

Je me suis pas mal enthousiasmée, je me suis pas mal ennuyée, selon les périodes. Pierre-François Garel est tellement plaisant à côtoyer que je n’ai pas hésité à réécouter deux ou trois fois les passages que je n’avais pas pleinement palpés de prime abord. J’ai beaucoup aimé monsieur de Bargeton, si mal à l’aise en société, si confus et emprunté dès qu’il s’agit d’assurer une conversation, affectionnant les bavards qui le dispensent de parler. La peinture des consommateurs d’esprits, des tractations éditoriales, des magouilles journalistiques, est assez effarante. Des sous, des sous… Honoré de Balzac nous parle beaucoup d’argent. L’épopée du compte de retour est à ce titre un passage d’anthologie. Et Lucien… ce pauvre Lucien, snobé par le grand monde, manipulé, jalousé, enterré… ce n’était pourtant pas à la base un enfant de chœur,. Mais se fondre dans l’enfer mondain et en tirer son épingle d’or n’est pas donné à tout le monde.

 

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John Gierach, Là-bas les truites…

Parc naturel du Haut-Languedoc, lac de Vésoles

Donc je savais que certaines choses étaient vraies et d’autres non. Que la forêt et les rivières étaient vraies, de plus en plus vraies à mesure que vous vous éloigniez de la maison. (23)

Ce court recueil d’un beau bleu soutenu est un concentré de l’univers de John Gierach. Il se fluidifie dans l’eau de la lecture et coule, vif et frais, comme une rivière à truites des Etats-Unis. Une rivière sauvage et secrète, où nulle âme humaine ne traîne ses tourments et ses attachements, qu’on est seul à connaître – qu’on pense être le seul à connaître… – l’essentiel étant de n’y croiser personne quand on y va.

Le retour cyclique, saison après saison, d’années en années, vers les mêmes lieux familiers et pourtant toujours différents, le fraternel savoir qu’on y développe, est le terreau de ma vie et celui de John Gierach le pêcheur. Il connaît les trous d’eau, les coins sombres, le flux, le tempo et les barrages de castor de ses refuges secrets. Il n’hésite pas à affronter la pluie, les éclairs, le vent et le brouillard, voire à pêcher dans le noir le plus complet en comptant sur les éclairs d’orage pour avoir une vue fugitive sur les gobages. Tout ça pour – au-delà du plaisir qu’il retire de l’activité en elle-même – fuir les foules, les emmerdements et le soleil ardent.

Éloge de la solitude bienheureuse… Elizabeth von Arnim avait son jardin, Chris McAncless sont rêve d’Alaska, John Gierach caresse les truites. A chacun son là-bas

Lac de Vésoles – Sympétrum rouge sang

Lac de Vésoles – Sympétrum rouge sang

Lac de Vésoles – Sympétrum rouge sang

 

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John Krakauer, Into the wild

Peyreleau, la Jonte

Mais nous savons peu de choses tant que nous n’avons pas fait l’expérience de ce qu’il y a d’incontrôlable en nous. Parcourons les glaciers et les torrents, escaladons de dangereuses montagnes et laissons l’opinion prononcer ses interdictions.
John Muir, Les montagnes de Californie. (204)

Autant je me suis terriblement ennuyée devant le film, autant mes cordes sensibles ont vibré avec le livre. Il est tombé à pic pour entrer en résonance avec des envies de fuite puissantes. Jon Krakauer rend hommage aux marginaux de la poussière des chemins, aux routards-chômeurs perpétuels, aux pèlerins de la transcendance, à une autre Amérique qui explore les voies du vide et de la beauté et parfois y tombe.

Ses aspirations, en un sens, étaient trop puissantes pour être comblées par un simple contact humain. (101)

Son portrait de Chris, ce jeune homme grisé par le dévoilement de sa propre existence est émouvant. Le garçon sème des histoires tout au long de sa route, touche le coeur des gens qu’il rencontre, mais décide pourtant de toujours repartir. Habité d’une aspiration folle, intrépide, dominé par un impératif, il aura cherché la vraie pulsation de la vie et l’expérience pure jusqu’au bout. Il était à deux doigts d’y arriver. Une connaissance botanique à laquelle il n’avait pas accès et son refus de se munir d’une carte topographique, deux petites déviations sur son chemin et il s’est retrouvé pris au piège. Le cours de l’existence est parfois compromis par de petites inattentions si innocentes en apparence… nous sommes décidément des créatures bien fragiles et bien dérisoires que notre conscience si spécifique ne sauve pas toujours.

Peyreleau – La Jonte

La Jonte – Demoiselles

La Jonte – Demoiselles

 

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Thich Nhat Hahn, La terre est ma demeure

Causse du Larzac, roc du Mérigou

J’avoue n’avoir jusqu’ici jamais beaucoup accroché avec les livres de Thich Nhat Hanh. Leur simplicité d’expression ne résonnaient pas avec ma vie. Celui-ci a fait mouche à différents niveaux. Peut-être parce que c’est une forme d’autoportrait. Ou peut-être parce que je l’ai lu à un tournant de ma vie où la pratique de la pleine conscience prenait une nouvelle dimension.

L’instant présent renferme le passé et, si vous vivez profondément dans le moment présent, vous pouvez guérir le passé. Vous n’avez pas besoin d’attendre quoi que ce soit. (113)

C’est un récit autobiographique qui sort de l’ordinaire, où le passé existe ici et maintenant. L’homme Thich Nhat Hanh se fond dans sa communauté et ses actions tout en restant présent avec force. Il livre le témoignage d’une foi totalement incarnée dans l’action, d’une quête intrépide de paix et de réalité.

Certaines histoires paraissent banales puis cheminent soudain vers des profondeurs qui font vibrer des cordes. Certaines autres tiennent du conte et font montre d’une naïveté qui me laisse sinon dubitative, du moins sans résonance. Le chapitre sur la fausse couche m’a paru digne des plus mauvais sermons bouddhistes sur le karma. Celle du professeur de mathématique, dont la vie devient soudain merveilleuse parce qu’il a découvert la pratique de la pleine conscience, sirupeuse et édifiante.

Ses cours devinrent un des plus populaires et des plus agréables de l’école. Très vite, toutes les classes adoptèrent ses techniques. Lorsqu’il atteignit l’âge de la retraite, il était tellement apprécié qu’on lui demanda de rester encore quelques années. (161)

Quant à la vision d’une Terre divinisée qui se préoccuperait personnellement de notre sort, je ne le suis pas une seconde sur ce terrain-là…

Quand nous aimons la Terre de cet amour-là, il s’agit d’un amour réciproque. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour la Terre et la Terre fera tout ce qui est en son pouvoir pour notre bien-être. (165)

Cette tendance asiatique à la poétisation pieuse ne froisse cependant pas la force d’inspiration spirituelle de ce livre.

Causse du Larzac – Érèse coccinelle

Causse du Larzac – Lézards à deux bandes

Causse du Larzac – Lézard à deux bandes

Causse du Larzac – Roc du Mérigou

 

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Elizabeth von Arnim – Elizabeth et son jardin allemand

Le goût pour la compagnie de ses semblables, et la crainte de rester seule, fût-ce pour quelques heures, me sont totalement incompréhensibles. Je suis capable de me distraire toute seule pendant des semaines entières, et je ne m’apercevrais même pas de ma solitude, n’était ce sentiment de paix qui m’envahit. (…) J’aimerais que ma maison fût remplie de gens capables de se distraire par eux-mêmes. Ils seraient accueillis et dépêchés avec une égale bonne humeur, car la vérité m’oblige à dire qu’autant j’aime à les voir arriver, autant il ne me déplaît jamais de les voir s’en aller. (50)

Comment prendre plaisir à se trouver dans un jardin où l’on risque à tout moment de croiser des gens avec qui on vient de prendre le petit déjeuner, et que l’on reverra immanquablement au déjeuner et au dîner ? (61)

Je me suis beaucoup plu dans la compagnie d’Elizabeth von Arnim. Nous sommes pourtant toutes deux des êtres sauvages à notre manière, redoutant les visiteurs, fuyant une compagnie qui s’attache de trop, n’ayant qu’une idée en tête : jouir le plus souvent possible d’une fructueuse solitude. Par livre interposé, on ne se dérange pas trop, c’est l’avantage. On peut se rencontrer, se tourner autour, se manipuler, se lire et se relire sans troubler l’onde de nos vies intérieures respectives.

Entre robes et rosiers jamais je n’hésite. (131)

J’ai souvent eu l’impression de lire mon propre journal intime. Elizabeth von Arnim passe des heures à fantasmer sur des catalogues horticoles, a des difficultés à apprivoiser les ancolies, expérimente sans cesse, guette les moindres floraisons, ose l’échec… comme moi. Son époque et son milieu lui inspirent cependant des réflexions fort éloignées de mes propres préoccupations, mais exprimées avec tant de détachement, voire d’ironie, qu’elle me fait spontanément sourire. Elle est amusante jusque dans ses préjugés de classe, cuisinières et filles de laiteries pâtissent de son esprit vif ! S’adonner aux tâches se rapportant à l’entretien de la maison et de la progéniture ne rentre pas du tout dans ses paramètres.

Les épouses de pasteurs doivent se faire cuisinières, femmes de ménage, et lorsqu’elles ont des enfants – elles en ont toujours -, servir de gouvernantes de de bonnes d’enfants. (86)

Malheureusement pour elle, je compatis de tout mon cœur, quelle frustration ! le jardinage activement physique ne fait pas non plus partie des activités compatibles avec sa qualité sociale. Et je regarde soudain avec un bonheur immense mes ongles plein de terre et mes mains rêches d’avoir fouissé, planté, arraché, cueilli… le jardinage pour prix de la vaisselle et du ménage ? Je dis mille fois oui !

Si seulement je pouvais manier moi-même la bêche et le plantoir ! (…) Toute au bonheur de posséder mon propre jardin, et très impatiente de voir fleurir les lieux les plus désolés, il m’est arrivé un beau dimanche de me glisser hors de la maison armée d’une pelle et d’un râteau et bêcher fiévreusement un petit carré de terre afin d’y planter quelques volubilis avant de revenir en toute hâte, rouge et confuse, m’effondrer sur une chaise et me cacher derrière un livre pour préserver ma réputation d’honnête femme. (38)

Isha mon chat

Isha épigone d’Issa

Sire des moustaches

 

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Somerset Maugham, Les trois grosses dames d’Antibes

Côte méditerranéenne, Vendres-plages

Le voyageur avisé ne se déplace qu’en imagination. (…) Les voyages qu’on accomplit au coin du feu sont les plus beaux, car, ainsi, on ne perd aucune de nos illusions. (134)

Somerset Maugham a longtemps fait partie de ces fantasmes littéraires qui nourrissent mon romantisme charnel au même titre que certains acteurs de cinéma ou de télévision (Ah, Nicolas le Floch !). Du fait de son nom, peut-être, de sa sonorité, de l’aura mystérieuse qui se dégage de son évocation. Petite désillusion avec ce livre – mais point trop douloureuse, j’ai d’autres fantasmes en réserve ! – puisque je l’ai abandonné en cours de route. Le style est un peu vieillot, très structuré. On sait que la chute va être calibrée et à sa juste place. Il s’en dégage un charme chic et suranné mais assez ennuyeux sur la longueur. La torpeur s’installe, Somerset Maugham ne donne pas grand-chose à ressentir. Platitude d’une mer calme. Il faut un moment pour voir passer une mouette. Je trouve que ces textes ont vieilli, comme des articles de journaux tributaires de leur époque, de ses mœurs, de sa morale, de ses codes sociaux. Ils paraissent si peu féroce aujourd’hui. Tout juste élégamment taquin.

Mais il en est qui mettent du sel dans leur café. Ils prétendent que cela lui donne un arôme, une saveur originale et fascinante. De même, il y a certains lieux auréolés de romanesque auxquels l’inévitable désillusion que vous éprouvez en les parcourant confère un certain piquant. (134)

Vendres-plage – Lever du soleil

Vendres-plage – Aigrette

Vendres-plage – Petits gravelots

Vendres-plage – Aigrette

 

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