Alice Munro, La danse des ombres heureuses

Côte méditerranéenne, Vendres-plage

J’ai pris une fois de plus un grand plaisir à entrer dans l’univers d’Alice Munro. Les deux premières nouvelles m’ont particulièrement enveloppée. Le cow-boy des frères Walker se déroule à ras d’enfant navigant à vue dans le flou mystérieux qui entoure la vie des adultes, dans cette campagne des années 30 où jouer au marchand de couleurs s’avère difficile tant la poussière prend le pas sur l’herbe verte. La danse des ombres heureuses est quant à elle un petit bijou de perfection, de ces nouvelles qui donnent toute leur brillance et tout leur sens à ce genre littéraire, en expriment la quintessence et font s’épanouir le coeur ému de la lectrice. Progression du récit, présence des personnages, tonalité d’une époque, chute à la fois saisissante et qui en dit long, tout est parfait.

Alice Munro saisit ce qui a du sens dans le flot de réalité, comme ces bottes exhalant une odeur compliquée de fumier, d’huile de machine, de vase durcie. Elle sait retranscrire ce qui, dans la succession de nos perceptions, va prendre assez d’importance pour habiter notre environnement, intérieur et extérieur, construire notre histoire personnelle et nous donner des directions vers où diriger nos pas. Vision parcellaire, toujours. Nous parcourons l’existence à tâtons. Mais il faut bien, pourtant, avancer hardiment.

Vendres-plage – Lever du soleil

Vendres-plage – Aigrettes

Vendres-plage – Aigrettes

Vendres-plage – Aigrettes

Vendres-plage – Aigrettes

 

Le problème, le seul problème, c’est ma mère. Et c’est elle, bien sûr, que je cherche à cerner; c’est pour l’atteindre que tout ce parcours a été entrepris. A quelle fin ? Pour la délimiter, la décrire, la mettre en lumière, la célébrer, m’en débarrasser : cela n’a pas marché, car elle m’écrase de se proximité, comme elle l’a toujours fait. Elle est lourde, comme toujours, elle est accablante, et pourtant elle est floue, ses contours fondent et coulent. Ce qui signifie qu’elle s’est attachée à moi aussi étroitement que jamais et a refusé de s’écarter : je pourrais continuer, continuer, faisant appel à toutes mes capacités, utilisant les subterfuges que je connais, et il en serait éternellement de même. (140)

 

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