Fred Vargas, Quand sort la recluse, lu par Thierry Janssen

The Rijksmuseum, Amsterdam RP-P-1941-156

Bizarrement, j’ai accroché. Cela fait pourtant longtemps que Fred Vargas m’ennuie avec ses tics et ses trucs éprouvés, trop appuyés. Un semblant de fraîcheur se dégage de ce nouvel épisode. Peut-être apportée par la murène et sa puanteur marine. Ou par le défilé de bestioles qui se glissent dans les pages : bernicle, veuve noire, merles, anguille, chat, moineaux, vipère et même un buffle. Quoique les merles soient douteusement sustentés au cake et le chat pathétique. Elle ne s’embarrasse toujours pas à faire de la dentelle. Les coïncidences sont énormes, on coule dans l’infra-crédibilité. Il n’en faut sans doute pas moins pour que son équipe boiteuse s’en sorte, mais l’aura de perspicacité d’Adamsberg subit un sacré délavage. L’énorme cordage qui mène au personnage le plus digne de confiance est aussi visible qu’un marque-page inséré au milieu d’un livre.

 

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Anton Tchekhov, Théâtre complet, tome 1

Lozère, lac de Charpal

Aller voir au théâtre une pièce d’Anton Tchekhov est un de ces fantasmes qui me collent à l’âme sans véritable raison, ou alors pour une raison que je ne connais plus moi-même. Le déclic passe, le fantasme reste incrusté. Il est fort peu probable que je le réalise, du moins dans les temps proches à venir, alors je me suis fait en attendant une petite séance de cinéma intérieur.

Je me fait l’effet de vivre dans un cabinet de curiosité, je regarde et je ne comprends rien. (278)

Ennui, désarroi, désœuvrement, sentiment d’insignifiance, les personnages de ces pièces s’efforcent de meubler le temps et l’espace comme ils peuvent. On se traite d’esturgeon, de troglodyte, on se lance : vous avez moins d’oreille qu’une carpe farcie. Ça ne manque pas d’un humour désabusé, d’un sens décalé du dérisoire.

Vivre et ignorer pourquoi les cigognes volent, pourquoi les enfants naissent, pourquoi il y a des étoiles au ciel… Il faut savoir pourquoi l’on vit, ou alors tout n’est que balivernes et foutaises. (431)

Quand bien même certains aspirent à la liberté, à un vaste horizon ou à une satisfaction intérieure, Anton Tchekhov ne leur apporte pas de réponse. L’ambiance reste flottante, parfois secouée d’un coup de feu mortel, qui ne répond pas plus au mystère de l’existence que le vacuité de la pensée. Je me suis sentie à mon aise dans ces salons et ces jardins, partageant cette interrogation sur le vivant et son absence de résolution. Pour y pallier, allons-nous décider de boire, aimer, nous supprimer, philosopher ou de franchement et consciemment contempler le vide ?

Lac d’Issarlès – Balbuzard pêcheur

Lac d’Issarlès – Batracien

Lac de Charpal – Morio

 

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Sophie Loubière, Black Coffee, lu par l’auteur et Bernard Gabay

The J. Paul Getty Museum, Los Angeles 2000.50.12

J’ai passé de longues soirées sur le parking avant la plage, la tête dans les étoiles et les orteils fouissant le sable, enfermée dans mon petit studio toulousain, accrochée à mon poste de radio. Bien plus que du désennui, cette émission dont le souvenir reste inaltérable offrait l’enchantement d’un été rieur et complice à nos pauvres cerveaux citadins esseulés, englués de moiteur poussiéreuse. Depuis ce temps, je ne peux entendre le nom de Sophie Loubière sans une étincelle d’enthousiasme ingénu, d’immédiate adhésion. Autant dire qu’être de nouveau enveloppée par les vibrations de sa voix à travers ce livre audio suffit à susciter mon bonheur. L’expérience s’enrichit au fil de l’écoute par le jeu de double voix, les introductions en anglais râpeux du terroir. L’avancée dans le récit est un peu bordélique, mais joyeuse. Ellipses, avances dans le temps capricantes, poussent le lecteur à stimuler son imagination pour retomber sur ses pattes. Sophie Loubière est fidèle à son amour pour les films américains. Le flirt entre Lola et Desmond est appuyé comme dans une comédie romantique. Elle n’a peur d’aucun cliché car elle trace une voie sincère et personnelle, franche et généreuse. L’intrigue tient la route jusqu’au bout. Un chouette voyage.

 

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Jean-Luc Barré, François Mauriac. Biographie intime. Tome 1 : 1885-1940

Ardèche, Mont Mézenc

La médiathèque du Saint-affricain propose une fort alliciante étagère consacrée aux biographies et au sein de laquelle j’avais depuis longtemps envie de puiser. Au premier creux de la vague qui s’est présenté dans mes projets de lecture, je suis allée l’explorer pour en émerger assez rapidement avec ce volume. Tels des poissons tirés hors de l’eau de leur époque, beaucoup de romans de François Mauriac vieillissent mal. J’aime bien cependant en ouvrir un de temps à autre, le mordant des peintures familiales restant jubilatoire. On les glane assez facilement dans les boîtes à livres. Ces lectures défraîchies ont trouvé tout leur sens à travers cette biographie.

Mais, pour le jeune écrivain qui rentre d’Italie en novembre 1910, l’équivoque n’est pas loin d’être devenue, dans tous les domaines, une règle de vie. Et le meilleur garant de sa liberté d’être. (180)

Suivre la pensée de François Mauriac n’est pas une mince affaire. Il y faut beaucoup de souplesse d’esprit. Jean-Luc Barré se prête à l’exercice avec habileté. Il ne s’attache pas à donner une image définie mais suit les les inspirations, les liens, les résonances, déniche les documents significatifs. du jeune François Mauriac élevé dans un climat de piété anxieuse et obsessionnelle qui communie avec les chênes et chipe de la culture en douce jusqu’à l’adulte conservateur, abonné à l’Action française, tenté par le totalitarisme, mais toujours en quête de lumière, il suit le flot, ne juge jamais, mêle faits établis et construction intérieure de l’homme avec fluidité, honnêteté et clarté. Les paradoxes de l’homme confronté à sa représentation sociale et aux turbulences de son temps rendent le récit passionnant.

C’est vrai que le choix d’une doctrine nous oblige, dans les instants où les forces en nous la renient, à continuer de la professer des lèvres, jusqu’au retour de la Grâce. (323)

(…) il n’est pas mauvais (…) de tirer de soi un monstre, de le poser sur une table et de contempler cette bête méchante et trop caressée que nous aurions pu devenir. (390)

Les paradoxes et une aspiration à la grâce en constant renouvellement. François Mauriac est un chercheur qui a toujours été habité par une grande lucidité. Son œil acéré sur la vie et les êtres le poussent à l’ironie et plus douloureusement, vers la déception. Elle fait tanguer sa foi, contrarie l’image qu’il veut donner de lui, il s’empêtre dans son identité catholique. le début de la quarantaine marque un tournant vers une expérience spirituelle plus autonome, vers le respect d’une complexe richesse à utiliser plutôt que vers le rejet des noirceurs intérieures. Il tente d’être un mystique initié par ses propres métamorphoses. Turbulent, malicieux, rétif, adorable, subversif, il est de plain-pied dans son temps. La vie littéraire française du début du XXe siècle, très marquée par la religion, les troubles et menaçantes années d’entre-deux-guerres, qui ne sont pas sans rappeler notre époque actuelle, prennent vie et réalité sous la plume vibrante de Jean-Luc Barré.

Mais il ne lui faudra que quelques semaines pour rallier la seule famille d’esprit qu’il ait jamais reconnue comme sienne depuis l’adolescence, celle des réfractaires et des insurgés, et entrer à leurs côtés dans une nouvelle période de sa vie. (574)

Mont Gerbier-de-Jonc

Mont Mézenc

Mont Mézenc

Mont Mézenc

 

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Madame de La Fayette, La princesse de Clèves, lu par Adeline d’Hermy

The Metropolitan Museum of Art, New York JP3295

La lectrice est un peu maladroite, mais alliée à sa jolie voix, sensible, vibrante et dotée d’une sonorité singulière, cette qualité se prête bien au contexte. La jeunesse et la découverte de l’amour… J’ai prêté une oreille inattentive à ces froufrous de cour, ne prenant pas la peine de revenir en arrière pour combler les blancs nés de mes décrochages. « Tant de fioritures pour des histoires de fesses ! » ai-je été tentée de m’exclamer. Que ces gens ont l’air de s’ennuyer ! Cour de récréation en habits papillotés, papotages et commérages, l’art du langage est à l’honneur. L’histoire de la lettre est assez amusante. La fin désolante de moralisme sacrificiel niais. L’intérêt ne peut réellement s’éveiller que par une mise en contexte historique et littéraire.

 

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Anne Perry, Un traître à Kensington Palace, lu par Frédérique Dufour

The Art Institute of Chicago 1962.753

J’avoue que j’ai beaucoup décroché au cours de cette écoute. Écarts d’inattention parfois fatals pour la bonne compréhension de l’histoire car Frédérique Dufour lit vite (seuls les dialogues sont à bon rythme). On aurait parfois envie de lui dire : « Tout va bien, n’oublie pas de respirer… » ou de lui prendre la main pour l’accompagner à un cours de yoga. L’auditrice que je suis peine à s’imprégner des personnages et de l’atmosphère quand ses neurones se bousculent dans la panique et qu’on ne lui offre pas le temps de laisser fleurir son imagination. Frédérique Dufour a une voix claire et plaisante, qui se fond bien dans l’époque victorienne. Consciencieuse et appliquée, c’est une lectrice habile, qui manque cependant de la liberté qui fait les interprètes imprégnés tout entiers par leur ouvrage. Du coup, quand le texte est mauvais, il est mauvais. Ni transcendance ni amélioration ne fermentent par l’alchimie du livre audio.

J’ai aimé retrouver Charlotte et Pitt mais je les ai connus en meilleure forme. Ils ressassent beaucoup, ils vieillissent mal. Examens de conscience et scrupules permanents, doutes et regrets, hésitations, que de répétitions dans les dialogues intérieurs et les hypothèses criminelles ! Anne Perry n’a pas lésiné sur le remplissage pour étoffer son intrigue. Qui a cependant quelques bons côtés, la base était plutôt alléchante. Mais le manque de rythme et un méchant totalement méchant, sournois dès son entrée en scène, ne font pas naître de frisson. Joyaux sur la couronne, la fin, célébrant avec fanions et trompettes l’honneur préservé du Prince de Galles, la tranquillité d’esprit retrouvée de la reine et le sauvetage flamboyant du royaume d’Angleterre a achevé de m’agacer par son nationalisme brut et basique.

N.B La prononciation du mot boers en un malsonnant boheurs tout au long du livre – et le mot revient souvent – n’a pas aidé à sa crédibilité.

[Écouté dans le cadre de ces fantastiques masses critiques]

 

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Stephen King, La tour sombre tome 2, Les trois cartes, lu par Jacques Frantz

The New York Public Library 1226234

Jacques Frantz se glisse merveilleusement bien dans la peau du homard sanguinaire, ce qui m’a encouragée à aller plus avant dans cette épopée post far-west. L’action débarque en fusillades. Stephen King a-t-il voulu créer un comique de répétition en sauvant systématiquement les acolytes de Roland des mains de la maréchaussée ? Toujours est-il que le scénario se répète. Les dialogues sont interminables. On s’ensable dans une vision archaïque, baroque et tout droit sortie du XIXe siècle de la schizophrénie. Stephen King, qui se pique d’introduire une note socio-éducative dans ses derniers romans – l’alcoolisme, les violences faites aux femmes… – aurait pu faire un effort pour ne pas en rajouter une couche sur le dos de ces souffrants que sont les personnes atteintes de schizophrénie. Véhiculer des idées fausses et convenues sur la nature de leurs troubles psychiques enflamme tout de suite l’excitation imaginative du public. Efficace sans doute, mais démontrant surtout la grande paresse de l’auteur. Ce n’est même pas assez bon au niveau romanesque pour contrebalancer cette grossièreté facile.

 

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François Mauriac, Les anges noirs

Massif de l’Aigoual

En pleine lecture d’une biographie de François Mauriac j’ai eu envie de reprendre directement contact avec ses mots. Un peu déçue par ce roman laborieux et très marqué par son temps. Il m’a fallu opérer un décalage mental pour saisir les enjeux tragiques de la situation d’Adila. Corruption de la chair innocente, engrenage du crime, religion omniprésente qui nourrit des raisonnements alambiqués… toute cette morale moisie et déliquescente a été difficile à avaler. Seul le nœud de crotales patrimonial a réveillé mes sens. On ne s’arnaque jamais mieux qu’en famille, la férocité de François Mauriac sur ce thème reste délicieuse.

Massif de l’Aigoual

Massif de l’Aigoual

Massif de l’Aigoual

Col de Faubel – Rouge queue

Col de Faubel – Traquet Motteux

 

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Stephen King, La tour sombre tome 1, Le pistolero, lu par Jacques Frantz

The Metropolitan Museum of Art, New York 2003.421

Sobriété zen, un sentiment d’étrangeté nous prend rapidement aux papilles. Je me suis facilement glissée dans l’essentialité du récit. Des points de repères connus mêlés à juste ce qu’il faut de mystère et de décalage pour éveiller nos sens. Jacques Frantz a travaillé ses voix dans une tonalité mâle et ironique, crissante. Surtout celle de l’homme en noir. C’est parfois difficile à supporter sans agacement. Mon attention s’est complètement perdue au cours de la rencontre finale. Tartines de digressions allégorico-spirituelles et interprétation sans nuances délicates ont fait choux blanc.

 

 

 

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Jean-Paul Kauffmann, La lutte avec l’ange

Ardèche, abbaye Notre Dame des Neiges

Je lui explique en quelques mots le but de ma visite qu’au demeurant je ne connais pas moi-même, mais dans certaines circonstances, je dois confesser que je n’ai pas mon pareil pour donner une certaine netteté au flou de ma démarche. (156)

Il y a paradoxalement moins de grâce dans cet effleurement funambulesque de Saint-Sulpice que dans tous les autres livres que j’ai pu lire de Jean-Paul Kauffmann. Je l’ai trouvé ironique, incisif dans ses portraits, mais surtout moins naturel, plus mental, parfois tout à fait obscure. Je l’ai quand même suivi, comme toujours, car sous des airs de guide touristique amélioré – anecdotes, notes érudites – son récit est porté par une question, une quête, une harmonie sous-jacente. Chapardeur de traces du passé, Jean-Paul Kauffmann se prend de passion, fouille, fouine, poursuit une logique, une idée, qu’on a envie de voir en face. Elle sera toute personnelle, finalement, humble et discrète, ce qui peut-être explique que l’affinité du lecteur avec ce texte soit moins spontanée qu’avec d’autres, plus ouverts sur l’universalité.

Quand je vois La Lutte, je ne puis m’empêcher de penser à la forêt de Sénart, à l’odeur humide qui se dégage de ses hautes futaies. La muraille des Saints-Anges répand un parfum acide et verduré, l’humus des débuts du monde que l’on respire encore dans quelques chemins retirés. (247)

J’ai aimé croisé François Mauriac et son amour des arbres, dont je lisais la biographie en parallèle. Carambolage littéraire impromptu tout à fait dans l’esprit de l’auteur et qui prend vie, ainsi, dans la mienne. Delacroix mesure le désastre du monde, l’entremangerie universelle et nous sommes de bien petites créatures qui essayons de tracer une sente sous les feuilles tout en échappant aux prédateurs de tous ordres (ou du moins en essayant de préserver le plus de plumes possibles)…

Abbaye Notre Dame des Neiges – L’oratoire

Abbaye Notre Dame des Neiges – L’oratoire

Abbaye Notre Dame des Neiges – L’oratoire

Abbaye Notre Dame des Neiges – L’oratoire

Abbaye Notre Dame des Neiges – Pinson des arbres

 

 

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