« Spiritualité, traditions religieuses … »

« Spiritualité, traditions religieuses … »

Ayant « brossé » l’ensemble de ce que nous nous proposions d’investiguer, et ayant également cerné au plus près ce dont il s’agissait à nos yeux en nous appuyant sur les travaux et disciplines de personnes à la notoriété reconnue par leurs confrères en leur époque, nous allons maintenant envisager un aspect délicat, « qui fâche » … mais que de notre point de vue, il est nécessaire d’aborder avant d’aller vers les cheminements plus spécifiques d’une (ou de voies) spirituelle(s).

Les traditions, le monde clérical religieux, et … le spirituel.

Commençons par lire Jack Kornfield :

— « Toute cosmologie peut être employée de façon saine ou perverse et malsaine. »

(p. 228 « Bouddha mode d’emploi » “Le cœur sage ”, ed. Belfond © 2011)

… « Le monde spirituel peut malheureusement devenir aussi réducteur et borné que le reste de notre culture ; il apparaît que pratiquement toutes les communautés religieuses ou spirituelles ont plus ou moins consciemment leurs mode de pensées et de comportements spécifiques.

(et citant E.E. Cummings)

“ N’être personne d’autre que nous-même, dans un monde qui fait tout pour que nous soyons quelqu’un d’autre, implique le combat humain le plus sur-humain et le plus dur qui soit et le fait que nous cesserons jamais de lutter pour cela.” »…

(p. 317, « Après l’extase, la lessive. » Jack Kornfield, © 2010)

« A toutes les époques, les grandes traditions spirituelles ont proposé divers véhicules pour atteindre l’éveil. Parmi ceux-ci, on trouve les disciplines corporelles, la prière, la méditation, le service désintéressé, les pratiques rituelles et « dévotionnelles », voire certaines formes modernes de psychothérapie. Tous visent à nous faire mûrir, à nous faire assumer la responsabilité de notre vie, et à nous aider à porter un regard neuf sur les choses en développant le calme mental et la force du cœur. Pour entreprendre l’une ou l’autre de ces pratiques, il faut s’engager sincèrement à mettre fin au conflit, à cesser de fuir la vie. Chacune d’elles nous ramène au présent dans un état de conscience plus clair, plus réceptif, plus honnête — , mais il nous faut choisir.

En choisissant parmi les différentes pratiques qui nous sont proposées, nous sommes souvent amenés à rencontrer des personnes qui essaient de nous convertir à leur voie. Chez les bouddhistes comme chez les chrétiens ou les soufis, on trouve des gens qui se disent régénérés par leur foi. Chaque religion a ses missionnaires qui maintiennent que la voie qu’ils ont découverte est la seule qui mène à Dieu, à l’éveil, à l’amour. Cependant, il est extrêmement important de comprendre qu’il existe de nombreuses façons de gravir la montagne – il n’y a pas et il n’y aura jamais une seule et unique voie juste. »

« Périls et promesses de la vie spirituelle », p. 66/67, Jack Kornfield, © édition Pocket oct. 2003

— En outre, tout massif montagneux, aussi différent qu’il puisse être d’un autre, aura toujours la même structure de captation des « eaux célestes », sourcera toujours ces eaux du ciel sur ses flancs, d’une manière ou d’une autre, et apportera l’étanchement de toute soif au vivant !

Randjung Kunkhyab, yogi tibétain de renom (1er Khyabjè Kalu), est plus précis et sans équivoque :

« J’ai fait plusieurs fois le tour du monde et j’ai donné refuge à des milliers de personnes. J’ai chaque fois expliqué aux personnes qui prenaient refuge, que cela signifiait exprimer sa confiance en les « Trois Joyaux »*. Cela ne signifie pas renoncer à une autre tradition. Elles gardent non seulement le droit de conserver leur foi en d’autres traditions, mais aussi celui de pratiquer une autre tradition quelle qu’elle soit, Bouddhisme ou autre religion : c’est le même chemin qui est enseigné. On peut prendre une tasse de thé d’un côté, une tasse de lait d’un autre côté, on peut mélanger les deux, de toute façon, cela étanche la soif, le résultat est identique. De la même manière, il existe différentes traditions, on peut en pratiquer plusieurs, on peut en pratiquer une. Le but est le même, c’est de venir en aide aux êtres, maintenant, en cette vie, et après cette vie.

On me pose cette question : « Mais si toutes les religions ont un même but, si toutes fondamentalement se valent, pourquoi y-en-a-t-il plusieurs, à quoi bon cette multiplicité ?

Je réponds toujours que la pluralité des traditions spirituelles est nécessaire. Pourquoi ? Supposons que vous alliez dans un restaurant : on ne vous propose pas qu’un seul plat, mais la carte qui vous offre un plus grand choix de mets. Tous les plats auront le même but, c’est-à-dire vous nourrir, mais certains préfèrent se nourrir avec tel aliment, d’autres avec tel autre aliment. De même, dans le domaine spirituel, certains préfèrent telle ou telle approche. Toutes les traditions sont nécessaires, que ce soit dans un lieu comme celui-ci ou un autre.

Les difficultés ou les facilités que rencontrent les centres spirituels viennent principalement des personnes qui dirigent l’administration du lieu. »

(« Foi et AmourRencontre Chrétien-Bouddhiste », p. 8 et 9, © 1986, éd. Kagyu Yiga Tcheu Dzin)

Thich Nhat Hanh, quant à lui, précise encore un peu plus la perception juste de ce qu’il en est à ce sujet :

« Nous ne cherchons pas à dire que le bouddhisme est une forme de christianisme ou le christianisme une forme de bouddhisme. Une mangue n’est pas une orange. Je ne peux pas dire qu’une mangue est une orange. Il y a des différences. Il faut préserver les différences. C’est bien d’avoir des différences. Vive la différence ! Mais quand vous observez profondément la mangue et l’orange, vous voyez que bien que différentes, elles sont toutes deux des fruits. Si vous analysez encore plus profondément la mangue et l’orange, vous verrez qu’elles contiennent les mêmes éléments, comme le soleil, les nuages, du sucre et de l’acidité. Si vous passez encore plus de temps à les regarder profondément, vous découvrirez que la seule différence entre elles tient au degré, à l’accentuation. A première vue, vous voyez les différences entre l’orange et la mangue ; mais un examen approfondi vous révèle tout ce qu’elles ont en commun. Dans l’orange vous trouvez de l’acidité et du sucre, qui sont aussi présents dans la mangue. Même deux oranges ont un goût différent, l’une étant plus acide ou plus sucrée que l’autre.

(« BOUDDHA et JÉSUS sont des frères », p. 17 et 18, Éditions Le Relié © mai 2001)

— Ainsi, bien que nous agréions largement, mais seulement jusqu’à un certain point, la prudence tout à fait recevable et légitime de J. Kornfield dans « Périls et promesses de la vie spirituelle » (p. 69), ou celle de A. Desjardins et V. Loiseleur dans « En relisant les Évangiles » (p. 64), par rapport aux risques potentiels d’un « papillonnage » spirituel pouvant receler des attitudes perverties, il n’en demeure pas moins que notre époque plus que toute autre (note-2) est aussi amenée à receler des êtres matures d’envergures capables d’esprit de synthèse. Hélas, ces trois dernières décennies, nous n’avons pu que douloureusement constater que quand bien même de tels êtres avaient reçu l’aval de maîtres prestigieux dans leur lignée traditionnelle et/ou même évêque, ils ont eu affaire à des attitudes particulièrement destructrices de la part de la hiérarchie ecclésiale en place, plus ou moins incompétente dans l’évaluation, crispée, et dans « l’insupportation » la plus totale qu’il puisse exister de telles consciences humaines, et ce jusqu’à trahir leur propre maître par leur incapacité avérée à entrevoir la chose possible, ou parce-que celle-ci « leur faisait de l’ombre » quant à leur statut de cacique « cadre héritier » supposé. Cette attitude de mise à l’index, tantôt sournoise, parfois plus violemment affirmée, aura eu comme conséquences graves l’enferment de communautés dans des « getthos » à tendances fondamentalistes, et leur prospérité en nos pays d’occident de la « vielle Europe ». Les dégâts sont sans doute considérables, inimaginables et probablement irréversibles et ce pour une période indéterminée … !

De leur côté D. J. Bohm et J. Krishnamurti ont dans leurs dialogues un regard perplexe et assez sévère sur le « monde sacerdotal religieux » en tant qu’institution ecclésiale :

« K. : Non, ce n’est pas cela. Les religions y sont peut-être pour quelque chose, elles qui toutes incitent à devenir, à atteindre un certain but.

D.B. : Mais dans ce cas, qu’est-ce qui a poussé les gens dans cette voie ? Pourquoi n’ont-ils pas pu se contenter d’être ce qu’ils étaient ? A mon avis, voyez-vous, la religion n’aurait pas eu de prise sur eux s’ils n’étaient pas tellement séduits par l’idée de se dépasser.

K. : Alors, il s’agirait d’une fuite, d’une incapacité à affronter la réalité ? Et donc, on se tourne vers autre chose, quelque chose de plus, toujours plus ?

KRISHNAMURTI : Nous disions que le temps psychologique est conflit, que le temps est l’ennemi de l’homme, et que cet ennemi existe depuis l’aube de l’humanité. Nous avons alors cherché à savoir pourquoi, dès l’origine, l’homme avait « fait fausse route », s’était « fourvoyé ». Et s’il était possible, dans ce cas, d’ouvrir à l’homme une voie où il puisse vivre sans conflit. Car, ainsi que nous le faisions remarquer hier, le mouvement extérieur est identique au mouvement intérieur. Il n’y a pas de clivage entre l’intérieur et l’extérieur. C’est le même mouvement. Et la question était de savoir si nous étions profondément, passionnément attachés à orienter l’homme vers une voie différente, afin qu’il ne vive plus dans le réseau du temps, à la seule lumière de la connaissance des réalités extérieures. Les religions, les hommes politiques, les éducateurs ont échoué, faute de s’y être jamais vraiment impliqués. Partagez-vous ce point de vue ?

DAVID BOHM : Oui. Je crois que les religions ont entrepris une amorce de débat sur les valeurs éternelles qui transcendent le temps, mais apparemment sans succès.

K. : Les hommes utilisent les merveilles de leur technologie pour s’entre-tuer. Mais nous parlons des problèmes relationnels, des problèmes d’absence de liberté, de ce sentiment perpétuel d’incertitude et de peur, de la lutte pour le travail et la subsistance tout au long de notre existence. Tout cela semble un extraordinaire non-sens.

D.B. : A mon avis, les gens ne sont plus assez lucides pour le voir. Dans la majorité des cas, ils acceptent la situation dans laquelle ils se trouvent, et s’efforcent de s’en accommoder, de résoudre quelques petits problèmes pour rendre leur sort plus tolérable. Mais jamais ils n’iront jusqu’à reconsidérer sérieusement la situation d’ensemble.

K. : Les hommes de religion ont légué à l’humanité un problème considérable.

D.B. : Oui. Eux aussi essaient de résoudre des problèmes. On dirait que tout le monde est aux prises avec son petit fragment personnel, occupé à résoudre ce qu’il croit soluble, mais cela ne fait qu’aggraver le chaos.

K. : Le chaos et les guerres ! …

(« Le Temps Aboli », Dialogues, pages 8, 39 et 387, David Joseph Bohm et Jiddu Krishnamurti, ed. Du Rocher © 1987)

D. B. : Toute tradition, bonne ou mauvaise, nous incite à accepter un certain type d’organisation du réel, et ce, de manière très subtile, sans même qu’on s’en aperçoive : cela passe par l’imitation ou par l’exemple, ou par les mots, par de simples déclarations. C’est ainsi que l’enfant se forge très progressivement un type d’approche qui fait que le cerveau rend responsable la réalité — indépendante de la tradition — de choses qui sont en fait imputables aux traditions. Et cela en renforce énormément l’impact. Je crois que ce phénomène est commun à toutes les cultures. La tradition a toutes sortes d’effets tangibles, dont certains, en un sens, sont peut-être même valables. Mais en même temps elle conditionne l’esprit, lui inculquant une certaine vision, rigide et figée, de la réalité.

Dans notre culture, on nous inculque la notion de ce qui doit être considéré comme authentique et nécessaire, la notion de ce qu’il faut faire de sa vie du genre de personne qu’il faut être, de nos obligations, et ainsi de suite. Tout cela s’imprime en nous grâce à d’imperceptibles signes qui n’ont pas l’air de faire partie de la pensée mais semblent correspondre au contraire a une vraie perception du réel. Le cerveau traite la pensée comme s’il s’agissait d’une réalité distincte d’elle-même, et c’est ainsi que la pensée se fragmente. On a beau regarder la réalité et dire : « C’est la réalité. Je dois garder les pieds sur terre, m’appuyer sur des bases solides », ces bases sont nées de la tradition, de la pensée : ce ne sont que des bases creuses, sans fondement réel, nourries et soutenues par ce cerveau infime, incapable d’échapper à ce cercle vicieux.

La culture a pourtant à son actif certaines valeurs qui méritent d’être préservées, …

« Les Limites de la pensée » p. 169/170, David J. Bohm et Jiddu Krishnamurti ed. Stock © 1999 (préface D. Bohm © 1982)

— Revenant vers les propos de Jack Kornfield, poursuivons :

Isolement et reniement.

« Lorsqu’une communauté s’établit à l’écart du monde ou a tendance à s’enfermer dans un semblant de culte il n’y a plus de possibilités réelles pour un regard critique. De la même manière, quand des enseignants sont portés et considéré comme des êtres parfaits, ils peuvent devenir isolé et coupés de leur semblables intègres, de leurs partenaires et de leurs amis spirituels. Les membres de la communauté peuvent dans cette situation perdre de vue ce qui se passe réellement. Les enseignants entourés d’étudiants qui les idolâtrent plus que des pairs peuvent être en proie à la solitude et au manque de reconnaissance de leur besoin de véritable intimité ; pire encore, ils risquent de tomber sous l’emprise d’une confiance aveugle en eux-même ou de l’arrogance et de l’intolérance. L’isolement doublé d’inflation devient le terreau fertile de l’illusion trompeuse, de la manipulation mentale et de la transformation d’une pratique communautaire en secte.

Souvent des tendances culturelles contribuent aussi à ces problèmes. Nos cultures patriarcales nous ont conditionnés à considérer les autorités comme étant supérieures, à ne faire confiance ni à nos corps ni à nos sensations et à suivre ceux qui “savent mieux”. Nous n’avons pas été encouragés ou initiés à penser par nous-même. Le désir d’être secourus, de trouver quelqu’un qui connaît la vérité au milieu de ce monde de confusion, et est à la base de nombreuses communauté de disciples aveugles.

L’idéalisation et l’isolement mènent à une culture de reniement partagés. En idéalisant, nous devenons aveugle face à l’évidence qui est sous nos yeux, tandis que l’isolement interdit à toute personne de mettre en évidence les faits. A un certain stade, le degré de reniement dans certaines communautés spirituelles est choquant, en particulier pour celui qui regarde cela de l’extérieur, les yeux ouverts. On est aveugle à propos du leader, aveugle devant les tendances sectaires des enseignements, aveugle face au nombre de membres de la communauté qui se sont perdu dans ce système spirituel et ont oublié leur propre sagesse naturelle.

« Notre capacité humaine à nous tromper nous-même est pratiquement aussi vaste que notre capacité à nous éveiller. Comme la remise en question des enseignants nous met en contact avec notre propre obscurité et nos douleurs, les étudiants refusent d’admettre que les abus existent et ils continuent comme avant, en dépit de la vérité douloureuse évidente. Même lorsque l’on parle clairement aux étudiants de problèmes avec leurs enseignants ou qu’il y a des campagnes nationales sur le contrôle des sectes ou les abus de pouvoir dans un mouvement spirituel, financiers, sexuels, les étudiants ne peuvent y croire. »…

Les tentations du pouvoir mondain

« Des croisades aux djihads, des saints hommes corrompus et évêques tyranniques à la vente d’indulgences — l’histoire des abus de pouvoir de nos religions occidentales institutionnalisées est bien connue. Nous avons, d’une certaine manière, imaginé que les religions orientales et les traditions méditatives étaient exemptes de cette forme de corruption. Mais la Corée, le Japon, le Sri Lanka, la Chine, le Tibet et la Birmanie ont tous une histoire religieuse qui comporte de graves périodes d’abus de pouvoir. Dans The Zen of War (1), Brian Victoria décrit avec de douloureux détails comment de nombreux maîtres zen japonais d’un grand charisme, comme Sawaki Kodo Roshi et Harada Daiun Roshi, violèrent et dénaturèrent les enseignements zen pendant la Seconde Guerre mondiale à seule fin d’encourager cette guerre et ses tueries. Pendant de nombreux siècles, des maîtres zen, parlant « d’une bénéfique guerre de compassion », incitèrent les pratiquants à se joindre, au nom du bouddhisme, aux massacres de l’armée perpétrés à l’encontre de ceux qui n’étaient pas japonais. Le fait de tuer fut décrit comme une expression de l’illumination et les plus grands temples fournirent des soldats et de l’argent pour les armes ; ils bénirent les canons et les campagnes militaires. Il y eut même des cas de monastères en guerre les uns contre les autres, luttant pour accroître leurs pouvoirs.

De même, les guerres entre sectes, moines ou monastères font partie de l’histoire du Tibet. Tsipon Shuguba, …

(1. Le Zen de la guerre.)

… ancien ministre tibétain des Finances et auteur du livre « In the Presence of my Enemies »(1), parle des conflits de pouvoir et des combats qui eurent lieu pendant les décennies qui précédèrent la mainmise du communisme chinois sur le Tibet. De grands monastères comme Séra, de grands lamas comme Reting Rinpoché (le régent du Dalai-Lama) et des centaines de moines furent impliqués dans des batailles avec chevaux, fusils et canons. Durant ces combats, de nombreux moines-soldats moururent. Le sectarisme et les luttes de pouvoir continuent d’exister dans la communauté tibétaine en exil, tout ceci au nom d’une pratique religieuse « correcte »

Bon nombre de hiérarchies religieuses établies en sont arrivées à posséder de grandes propriétés, des trésors artistiques, une reconnaissance internationale et une influence morale. Il s’agit maintenant de trouver le moyen de détenir tout cela sans se laisser emporter par ses scintillants attraits. Un chef spirituel sage aura un esprit simple et un cœur libre, qu’il porte des brocards et traite avec les rois ou des guenilles et vive dans la solitude du désert. L’amour authentique pour tous les êtres considère le pouvoir politique comme une mesquinerie inutile, comparé à la richesse d’une vie au sein de la vérité.

Quand toute notre humanité n’est pas prise en compte

Renier les aspirations humaines ordinaires est une forme d’idéalisme tellement répandue dans les traditions …

(1. En présence de mes ennemis.)

… spirituelles à travers le monde que cela demande d’y regarder de plus près. Certaines traditions, tant orientales qu’occidentales, enseignent qu’i1 vaut mieux n’avoir aucun besoin ni désir personnels. Cet idéal de perfection d’un autre monde ne reconnaît aucune valeur aux relations et besoins ordinaires ; il dénie aux êtres spirituels toute possibilité d’être bénéfiques en ayant une vie sortant des étroites fonctions religieuses. Cet idéal attend des enseignants, des abbés et des maîtres qu’ils soient au-dessus du monde et demeurent dans une simplicité sainte et une pureté ascétique.

Le choix de la simplicité est d’une grande valeur certes, mais il faut faire la différence entre la pratique d’une vie ascétique et le reniement. En lui-même, l’ascétisme est 1e choix conscient d’un chemin de simplicité : simplicité de la nourriture, des vêtements et de l’action. Ce peut être une manière délibérée d’apprendre le renoncement intérieur et de se libérer des incitations externes du monde. Le célibat peut également être choisi en tant qu’expression de renoncement et de simplicité.

En se plaçant en dehors de la sphère des relations de couple et des relations sexuelles, la nonne, le prêtre ou le moine accède à un mode de vie qui peut être totalement consacré à la prière, au culte et à la communauté. Dans un tel contexte, le chemin librement choisi du célibat et de l’ascétisme peut être à la fois utile et précieux. Un signe de saine pureté sera de constater que la personne qui fait ce choix ne supprime pas simplement ses besoins et ne dénie pas non plus leur existence. La libido, les besoins intimes et toute la gamme d’émotions sont au contraire reconnus et inclus dans une vie spirituelle riche.

… « Le problème survient lorsque le reniement de notre humanité est érigé en valeur spirituelle. Pour des étudiants, cela signifie s’enfermer dans un monde puritain et craintif en se coupant de leur propre expérience. Et pour les enseignants également, les exigences prolongées de pureté non égotique, infaillible, peuvent se traduire par la répression ou l’ignorance de leurs propres ombres.

Les chefs spirituels enfermés dans une telle idéalisation dénué de fondement ne prennent pratiquement jamais en compte les besoins humains, la sexualité, le chagrin et la vulnérabilité. Leurs système spirituel idéaliste offrent donc peu d’instruction ou d’aide véritable quand à la manière de travailler sur ces réalités. Peu importe le niveau de pureté et d’exaltation, notre humanité ignorée va resurgir et tous nos besoins délaissés vont réapparaître.

Si les besoins du corps et de notre humanité ne sont pas reconnus, ils peuvent être transformés en démons et projetés sur les autres, alimentant la paranoïa, la chasse aux sorcières et l’inquisition. La communauté vivra dans la peur de nombreux aspects de la vie. »…

(p. 23 à 25, 227à 230 « Après l’extase, la lessive. » Jack Kornfield,© 2010)

— « En arrivant au monastère de la forêt, j’étais un jeune homme à l’esprit scientifique qui tait assez dubitatif à propos de la réincarnation. Ajahn Chah rit et me dit de ne pas m’inquiéter, que je pourrais trouver la liberté sans “croire aux vies successives”.

Le Bouddha Gautama montrait que vivre avec sagesse ne dépend pas de la croyance en une vie après la mort**.

… Si la croyance en la “réincarnation/transmigration” (d’une structure de conscience) peut apporter dans la vie un sens de l’ordre et une compréhension, on peut aussi en faire mauvais usage. A certaines époques, la “réincarnation/transmigration” a été utilisée pour blâmer les victimes de la souffrance ou pour justifier une complaisance à l’égard de l’injustice. Toute cosmologie peut être employée de façon saine ou perverse et malsaine. En Occident nos cosmologies religieuses des “paradis” et des “enfers” et nos cosmologies mécanistes scientifiques*** ont servi des causes aussi bien bénéfique que destructrices. »

(p. 227 et 228 « Bouddha mode d’emploi » “Le cœur sage ”, ed. Belfond © 2011)

Stephen Batchelor pages 159, 161 et 162 dans « Le bouddhisme libéré des croyances  », (© 2004 éditions Bayard), apporte un éclairage assez universel sur ce qui l’en est de la situation :

« Alors qu’elles trouvent leur origine dans des actes de l’imagination, les orthodoxies cherchent paradoxalement à contrôler l’imagination pour maintenir leur autorité. L’authenticité de la compréhension d’une personne est mesurée d’après sa conformité aux dogmes de l’école. Si de tels contrôles peuvent constituer un garde-fou nécessaire face au charlatanisme et à l’aveuglement individuel, ils peuvent aussi être utilisés pour étouffer des tentatives authentiques d’innovation créatrice qui pourraient menacer le statu-quo. L’imagination est « anarchique » et potentiellement subversive. Plus une institution religieuse est hiérarchique et autoritaire, plus elle exigera que les créations de l’imagination se conforment à ses doctrines et à ses normes esthétiques.

Cependant, en étouffant l’imagination, la vie même de la pratique du dharma est coupée à sa source. Si les orthodoxies religieuses peuvent survivre et même prospérer pendant des siècles, elles finiront par se fossiliser. Quand le monde change autour d’elles, elles n’auront pas la force imaginative de répondre avec créativité aux défis de la nouvelle situation.

Quand le bouddhisme rencontre le monde contemporain, il fait face à une situation où la créativité et l’imagination sont essentielles à la liberté individuelle et sociale. Si les traditions bouddhistes ont invariablement affirmé que la raison d’être d’une culture de l’éveil consistait à s’affranchir du désir et de l’angoisse, elles ont affirmé, avec bien moins de constance, la liberté de répondre avec créativité à l’angoisse du monde. À la fois de manière interne en devenant des orthodoxies religieuses et de manière externe en s’identifiant à des régimes autocratiques voire totalitaires, les traditions bouddhistes ont penché du côté d’un conservatisme politique. Ceci a contribué d’une part à entretenir une tendance au mysticisme, et d’autre part à reporter l’épanouissement personnel et social à une renaissance future dans un monde moins corrompu. »

Marcel Légaut n’est pas en reste dans sa vision, non seulement en ce concerne « son église », mais aussi dans ce qui touche à l’universel de traditions dites « orthodoxes ». Dans « Un homme de foi et son église » œuvre testamentaire, page 203, ( © 1988, ed. Desclée de Bouwer) il pose cette interrogation :

« Y a-t-il parmi les autorités de nos Églises beaucoup de spirituels ? Il semble qu’on soit fondé à en douter quand on voit leurs manières de juger et de décider, tout imprégnées de légalisme et de juridisme, sans charité attentive, sans aucun égard aux cas toujours particuliers qui chaque fois se présentent, dans les domaines de la vie profonde des fidèles en voie d’assumer leurs instincts fondamentaux et de les rendre proprement humains et spirituels ; voie difficile mais nécessaire, capitale entre toutes, où tant d’êtres achoppent… »

— Nous avons pu hautement apprécier sa perspective, dont nous retranscrivons ici quelques passages à notre humble avis des plus signifiants quant à notre propre réflexion.

« L’homme n’est-il pas religieux de façon structurale, comme par réaction instinctive, pour survivre et ne pas être écrasé sous le poids des conditions matérielles et psychiques où il se trouve, quand elles lui sont excessives ? Lui, l’être le plus précaire dès sa naissance, le plus improbable dans sa croissance. . .

Cependant, de nos jours, chez la plupart des hommes, du moins en Occident, cette religiosité est en voie …

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… de disparaître dans l’ordinaire de la vie, en raison du climat général de la société moderne. Elle reste d’ailleurs secrètement et puissamment tapie dans les profondeurs de tout être humain. Aussi ne manque-t-elle jamais de se manifester avec violence, et parfois sous les formes les plus extravagantes, aux heures où les êtres se sentent menacés dans leurs œuvres vives.

Les renchérissements et les outrances du moralisme, la culture de la culpabilité et ses raffinements ont énormément servi aux Églises pour développer dans leurs fidèles une affectivité qui tend chez de nombreux chrétiens à s’identifier avec la vie religieuse. Dans ce climat, la « mort à soi », dont on parle beaucoup dans l’ascétisme — ce travail important pour atteindre à la maîtrise de soi —, porte à la destruction de la personnalité plus qu’à une véritable intégrité de la personne.

C’est le drame qui est vécu trop souvent, sous le couvert du bon esprit et de la docilité, dans nombre de communautés religieuses. Elles dépersonnalisent leurs membres à force de les former. Rien n’est plus opposé au développement de la vie spirituelle que ce dressage, tant les efforts qu’il demande à celui qui s’y soumet, les satisfactions masochistes qu’il lui procure, les souffrances malsaines, ambiguës pour le moins, qu’il lui impose, se présentent à lui comme des manifestations de croissance, tandis que ce n’en sont que des succédanés pervers qui donnent le change. Trop souvent cela sert d’alibi pour qui se dérobe ainsi à des exigences autrement plus grandes, allant plus profond et plus loin dans le désert de la solitude fondamentale. En cet alibi se manifeste, sans dire son nom, l’aliénation religieuse au sens fort du terme. Celle-ci est d’autant plus néfaste qu’elle porte sur des êtres généreux, ayant des potentialités humaines relativement exceptionnelles qu’ils auraient pu mettre en œuvre si on les avait orientés convenablement et aidés à les exercer au lieu d’y faire obstacle, obnubilé par la peur qu’elles dévient. Fréquemment dans les communautés religieuses où la discipline …

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… monastique est une pratique absolutisée, cette aliénation sévit avec virulence. Quand ces communautés cherchent à réaliser leur unité dans l’uniformité, elles écrasent leurs membres, et particulièrement ceux de forte personnalité, à force de vouloir systématiquement les faire entrer dans le moule. Elles s’y emploient et y réussissent d’autant mieux que ceux-ci sont plus généreux, plus courageux et qu’ils poussent l’obéissance jusqu’au for intérieur.

A notre époque, vu la généralisation de l’instruction et la diffusion des connaissances comme cela ne fut jamais dans le passé, il est capital que les structures soient adaptées avec une grande plasticité à la diversité accrue jusqu’à l’extrême des hommes, à ce que chacun d’eux a besoin de recevoir pour mettre en œuvre toutes ses potentialités pour devenir lui-même mais aussi en retour pour aider les Églises à accomplir comme il convient leur mission. Nous en sommes loin.

Autrement, même si elles ne disparaissaient pas, comment ne deviendraient-elles pas des sectes fermées sur elles-mêmes, sans aucune ouverture sur le réel, véritables kystes dans une société qui alors, elle aussi, semblerait irrémédiablement condamnée à perdre davantage sens à mesure que croissant en science et en puissance elle prendrait mieux conscience du vide où elle s’écoule avant de s’écrouler ?

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Sans être totalement privés de résurgences spirituelles dignes des ferveurs qui se produisirent les tout premiers temps après la mort de Jésus, où n’étaient pas d’ailleurs absentes les ambiguïtés liées à la condition humaine, les vingt siècles qui nous précèdent ont été marqués continûment par des luttes doctrinales entre les Églises et par des affrontements qui les opposèrent les unes aux autres. Ces combats, où se déployaient les instincts de puissance et de domination, ont été souvent inspirés aussi par des préoccupations personnelles et des ambitions politiques. Ce fut, accompagnée de toutes les formes de la violence, une succession presque ininterrompue d’anathèmes et de schismes qui prirent de telles proportions que le christianisme comporte maintenant de multiples Églises qui se veulent étrangères les unes aux autres, de multiples confessions et sectes, de taille internationale souvent, et dont l’histoire s’étale parfois sur plusieurs siècles.

Tel est le tableau de fond de la situation où nous nous trouvons aujourd’hui et dont il est nécessaire de tenir compte afin de mesurer à leurs vraies dimensions les résistances que, dans leur ensemble les diverses Églises opposent actuellement aux changements qui pourtant leur sont nécessaires pour connaître un avenir fécond et n’être pas condamnées de façon inéluctable à la dérisoire récession des sociétés religieuses en voie de totale disparition.

Là où les préoccupations idéologiques, éthiques et théologiques, se font premières, les divisions et les oppositions naissent et se multiplient rapidement. Elles rendent impossible toute unité. Elles ont tendance à se prévaloir des institutions existantes pour s’affirmer et à les utiliser pour s’imposer. Celles-ci y trouvent une raison supplémentaire pour se justifier …

Le mot « œcuménisme » est très courant aujourd’hui sur les lèvres des chrétiens. Mais l’intérêt pour l’unité, que ce terme manifeste, traduit des sentiments de profondeur fort diverse. Il est en relation indirecte mais serrée avec la qualité de la vie spirituelle. Il la manifeste même avec plus de vérité que la pratique religieuse. C’est ainsi que les plus engagés des chrétiens dans la vie de croyant, ceux qui ont atteint le niveau de la foi et de la fidélité au-delà de la simple adhésion aux croyances et de la stricte obéissance aux lois, souffrent au fond d’eux-mêmes plus que tous les autres, relativement indifférents, des divisions qui opposent entre elles les Églises, et dont, depuis longtemps, celles-ci semblent avoir pris leur parti. Cette situation leur paraît d’autant plus contre nature qu’étant en contact fréquent avec des membres d’autres confessions, ils se sentent souvent plus proches de certains d’entre eux que de nombre de leurs coreligionnaires (1).

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… cette union que toutes les autorités ecclésiastiques disent désirer, mais qu’au vrai nulle d’entre elles ne croit tout à fait possible ! Que tout ce remue-ménage est de peu de poids à côté des inerties qui paralysent nos institutions bardées de « légitimité » et dont les responsabilités, réduites à la stricte observance des règles canoniques, ne sont pour elles que source d’atermoiements sans fin ! Toutefois cette mondanité cléricale et pieuse, où le vent souffle plus fort que l’esprit, n’aura qu’un temps, un temps certes trop long ! Toujours l’heure vient à sonner où, selon la loi de fer qui régit l’Univers et lui permet de subsister, tout ce qui n’a pas de finalité, et qui par suite s’enlise dans l’inutilité, disparaît dans la dérision de l’oubli. …

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Les êtres en recherche, qui, grâce à leur approfondissement, ne se contentent pas d’une vie au jour le …

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… jour, sont ainsi attirés par les pratiques souvent fort poussées que l’Orient préconise et qui visent à faire atteindre un état intérieur, riche de paix et de maîtrise, dont l’existence moderne rend difficile l’accès et dont sans cesse elle tend à distraire par la suractivité qu’elle impose. Heureusement, d’ordinaire, ils s’y efforcent « à l’occidentale » ! Ils ne cherchent pas à se protéger du réel, ni à s’en couper ; ils ne dénient pas au réel tout intérêt spirituel comme souvent, sur un fond de sagesse, les religions orientales peuvent y porter.

Cependant nos Églises, restées très inféodées à un intellectualisme que, pour leur compte, les sciences ont pourtant tendance de nos jours à nuancer, suspectent encore toute intériorité de subjectivité dérisoire, voire malsaine. Elles préfèrent ce qui est objectif, enseignable, imposable, cultuel et collectif jusqu’à s’y cantonner exclusivement. Aussi, ne donnant pas sa juste place à l’intériorité et à ses exigences propres, elles ne répondent pas aujourd’hui à l’attente des hommes qui vont chercher ailleurs ce dont ils ont besoin pour avoir une vie personnelle, libre de la liberté d’être soi, singulière dans sa vérité vécue, et capable de communion avec autrui au-delà de toute uniformité.

Au vrai, ce que ces croyants, détachés du dogmatisme occidental, demandent à l’Orient, ils le trouveraient chez eux, auprès des spirituels qui, à chaque génération, naissent et sont les témoins fidèles de l’essentiel dans une authentique intériorité. Il faut avouer cependant que ceux-ci sont peu nombreux et comptent rarement parmi les personnalités qui président aux destinées de nos Églises, les représentent publiquement et leur donnent un visage.

N’en doutons pas, pour découvrir dans l’Église ces ressources spirituelles qui puissent satisfaire les recherches d’intériorité, lesquelles semblent heureusement …

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… caractériser notre époque et qui permettent de vivre et non pas d’être seulement vécu, il faut atteindre le cœur de l’Église en son secret et ne pas s’arrêter à ses comportements de société visible de l’extérieur par quiconque, même par qui lui est le plus étranger. Dans l’ordre spirituel, on ne reçoit que si l’on se donne, et il ne nous est donné qu’à la mesure de l’accueil qui nous permet de recevoir. »

— Comme en écho, nous trouvons dans « En relisant les évangiles » d’Arnaud Desjardins et Véronique Loiseleur (Éd. La Table Ronde © 1990) une mise au point et un positionnement que nous n’avons pu que partager, nous devrions dire, hélas !

« Les milieux chrétiens montrent aujourd’hui deux attitudes nettement contradictoires en ce qui concerne la découverte des spiritualités vivantes de l’Asie. L’une est une attitude de très grand intérêt et de très grande tolérance. Le trappiste Thomas Merton en est le plus célèbre exemple mais, à cet égard, nous Français, pouvons citer les cas du Père Montchanin et surtout du Père Le Saulx, qui, tout en demeurant moine bénédictin, est allé aussi loin que possible dans la compréhension de l’hindouisme et pour qui le choc de la rencontre des deux traditions a été bouleversant. Nous savons aussi que beaucoup de membres de divers ordres religieux lisent des livres sur l’hindouisme et le bouddhisme, que certains pratiquent ouvertement le yoga ou le zazen. Je connais personnellement plusieurs dominicains, par exemple, avec qui je suis ou j’ai été en relation assez étroite et qui ont beaucoup approfondi ces techniques d’ascèse orientales. Dans cette même ligne d’ouverture, on peut citer la déclaration du Concile de Vatican II sur les religions non chrétiennes (il y a à Rome un secrétariat pour la rencontre avec les grandes religions de l’humanité) et le rassemblement œcuménique d’Assise pour la paix auquel participait le pape actuel.

Pourtant, il y a en même temps dans l’Église, c’est visible à bien des signes, un durcissement à l’égard de l’intérêt que des chrétiens portent aux religions orientales. Récemment, le Secrétariat pour la Foi a publié un communiqué qui engage le Vatican et qui met sévèrement en garde les chrétiens contre la pratique du zazen ou du yoga. Tant et si bien qu’il revient souvent à mes oreilles que dans tel monastère en France on recommande à des jeunes « en recherche » qui y font une …

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EN RELISANT LES ÉVANGILES

… retraite la lecture des livres d’Amaud Desjardins et que dans d’autres abbayes on déconseille formellement ou même on interdit la lecture de ces livres. Alors que pour certains catholiques, y compris des religieux avec qui je suis en correspondance, ces ouvrages représentent un apport spirituel bienvenu leur permettant d’approfondir certains aspects de leur propre ascèse dans les conditions du monde moderne, pour d’autres religieux le personnage Arnaud Desjardins et son œuvre sont une cause de souffrance. Ils m’accusent d’être un propagandiste d’idées erronées et — certains n’hésitent pas à employer cette expression — un ennemi de la vraie doctrine et de la vraie foi.

Car il existe des valeurs spirituelles essentielles que j’ai retrouvées dans l’ancienne tradition chrétienne mais aussi dans le soufisme, le bouddhisme tibétain ou zen et l’hindouisme et qui se trouvent certainement dans d’autres traditions que je n’ai pas approfondies comme par exemple le judaïsme. Mais je sais que mes livres sont lus par des lecteurs ayant des positions et des convictions tout à fait différentes ou même opposées, depuis le refus catégorique du christianisme jusqu’au malaise devant tout ce qui n’est pas officiellement chrétien et plus précisément d’obédience catholique. Je dis simplement qu’il est dommage que des Occidentaux s’extasient devant les richesses de l’Orient et ignorent complètement celles du christianisme.

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Au cours de mes années de recherche — lectures, questions posées à des prêtres, des moines, et des maîtres appartenant aux différentes traditions de l’Orient — j’ai donc été confronté à deux attitudes : l’une intolérante, faite souvent d’ignorance, et l’autre ouverte, celle de ceux qui n’éprouvent nul besoin de protéger leurs convictions. J’aborde là un sujet grave et qui, pour moi, a été bien souvent douloureux, celui des discordes entre êtres humains qui se réclament tous de la spiritualité et affirment tous la transcendance de l’esprit par rapport à l’existence physique et psychique. Quand on nous propose comme réponse à l’absurdité de la vie et à la souffrance la Vérité avec un V majuscule, il est cruel de constater que les tenants de cette vérité et de cette réponse ne sont pas d’accord entre eux. Ils sont peut-être munis d’un titre de shastri en Inde ou de théologien en France mais dans quelle mesure ont-ils mené à bien une transformation profonde de leur être même ? Pour parler avec une telle autorité, sont ils libres de leur inconscient, de leurs émotions, de leur égocentrisme ? On peut être docteur en théologie et se trouver moins avancé spirituellement qu’un frère convers très ignorant sur le plan doctrinal ou philosophique. »

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— Au vrai, que signifie vraiment la « communion » d’une communauté ? À partir de quel aspect pouvons-nous réellement envisager la chose. Dans « Périls et promesses de la vie spirituelle », p. 426/27 (© 2003éd. Pocket), Jack Kornfield recadre ce dont il s’agit :

« La communauté ne se crée pas lorsque des personnes se réunissent au nom d’une religion mais lorsqu’elles se réunissent, fortes de leur honnêteté, de leur respect et de leur bonté, pour exalter l’éveil du sacré. Une véritable communauté se forme quand notre parole est en accord avec la vérité et la compassion. Sur le chemin, ce sentiment de communauté spirituelle est un élément merveilleux de notre guérison et de notre transformation.

Lorsque nous envisageons de nous joindre à une communauté, en évaluant ce que nous pouvons donner et la manière dont la communauté s’attache à éveiller ses membres, nous devrions considérer aussi les anciens. Comment les disciples acquièrent-ils de la maturité dans cette communauté ? Sont-ils respectés, leur donne-t-on des pratiques plus avancées, des opportunités de servir ou d’enseigner ? Y a-t-il une possibilité d’atteindre à la plénitude de l’enseignement comme l’a fait le maître ? Les élèves les plus anciens sont-ils heureux, font-ils preuve de sagesse ? »

— Voilà ce qui devrait être notre positionnement si nous voulions nous aventurer dans cette entreprise, périlleuse à bien des égards !

Pour conclure cet article assez indigeste, riche en citations d’êtres exceptionnels en spiritualité, et envers qui nous avons une profonde gratitude pour nous avoir laissé de tels témoignages, nous citerons d’une part, Stephen BATCHELOR dans « ITINÉRAIRE D’UN BOUDDHISTE ATHÉE » p. 294, (éd. du Seuil, © février 2012) :

« Si les monastères de Sera et de Songgwangsa n’avaient pas existé depuis des siècles en bastions de leurs traditions respectives, aurais-je pu recevoir toute cette instruction qui m’a donné les bases pour écrire sur le bouddhisme comme je le fais actuellement ? J’en doute. Que je l’apprécie ou non, l’esprit qui anime la vie religieuse et son organisation formelle semblent – comme le Bouddha et Mara – inextricablement liés l’une à l’autre.

Rejeter la religion réglementée pour une « spiritualité » éclectique et nébuleuse n’est pas non plus une solution satisfaisante. En tant qu’êtres parlants, nous élaborons constamment des théories et des croyances cohérentes. En tant qu’animaux sociaux, nous nous organisons constamment en groupes ou communautés. Sans un discours rigoureux et critique envers lui-même, on risque de tomber dans de pieuses platitudes ou des généralisations superficielles. Et sans un minimum de cohésion sociale, les idées géniales risquent de dépérir. L’important n’est pas de renoncer à toutes les institutions ou à tous les dogmes, mais de s’en accommoder avec ironie, de les apprécier pour ce qu’ils sont – le jeu de l’esprit humain dans sa quête incessante de sens et de cohésion -, et non de les considérer comme des entités éternelles qu’il faut défendre sans merci ou imposer de force.

« De nos jours, la religion doit s’affranchir de la croyance, dit Don Cupitt****. Il n’y a rien en quoi croire ou espérer. C’est pourquoi la religion doit devenir un moyen immédiat et profondément ressenti de vous rattacher à la vie en général et à votre propre vie en particulier. »

— Et d’autre part, Arnaud Desjardins et Véronique Loiseleur, qui dans « En relisant les évangiles » pages 22 et 23, citent une situation que nous pourrions reprendre à notre compte, tellement nous en avons été proches, dans l’espace et le temps vécu :

«  A l’époque où je ressentais cruellement ce déchirement j’ai été, si l’on peut dire, sauvé par le maître des novices d’une abbaye de trappistes qui faisait autorité dans le monde cistercien à cause de ses travaux éminents sur les Pères de l’Église. Ce moine, théologien et prêtre, était donc qualifié pour que j’accorde un réel crédit à ses paroles : «  Dans chaque tradition, m’a-t-il dit, vous retrouverez le même symbole d’une eau source de vie, l’eau qui désaltère vraiment. Les contemplatifs, les ascètes, les mystiques de toutes les religions, sont penchés sur cette même source, tellement absorbés dans le fait d’en boire qu’ils n’ont pas le temps de discuter à son sujet. Et puis, suffisamment en retrait pour être sûrs qu’aucune gouttelette ne risque de les éclabousser, les théologiens de toutes les religions, sans avoir bu une seule gorgée de cette eau, discutent inlassablement pour savoir si celle-ci est alcaline, minérale, sulfatée, magnésienne ou si elle contient trop de nitrates. »

Cette réponse m’avait bouleversé, il y a bien des années de cela. Et ce père a ajouté ces paroles qui ont achevé d’apaiser mes doutes : «  la théologie catholique me permet de dire, sans me mettre en tort vis-à-vis d’elle, que bien avant la naissance de Jésus de Nazareth mais également depuis sa naissance, des hommes, des femmes qui n’ont jamais entendu parler de Jésus, jamais connu les enseignements ou les rites catholiques, ont eu une expérience intérieure du Christ, seconde personne de la Trinité, à laquelle rien ne manque. » Cette affirmation est effectivement justifiable du point de vue chrétien et elle a été soutenue depuis les premiers siècles. »

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Ours Haïda – broderie au point de croix, (H.19 x L.19), Sandrine Grillet, 2013

« Les idéaux ne sont pas des réalités »

— Les idéaux sont le reflet de notre nature profondément spirituelle. Mais comme nous le savons (où devrions le savoir et l’avoir en permanence inscrit en nous-même), ils peuvent devenir de véritables poisons corrupteurs de l’esprit, du corps et de l’Être. En effet, mal compris et mal intégrés, de façon incorrecte ou sans recul, sans espace ou discernement, en d’autres termes, si nous ne les regardons plus comme des “idéaux” mais comme des réalités et “vérités” inscrites et concrétisantes, ils deviennent alors un énorme mensonge qui s’inscrit dans le déni de la réalité, relative certes, mais bien vivante, celle qui est la nôtre dans notre quotidien, au nom d’un “ailleurs” qui n’existe pas en dehors de l’instant immédiat incarné dans les faits, dans la contraction des trois temps, passé, présent et devenir.

Ces idéaux, qui sont là pour nous amener à nous dépasser au sein de nos limites de perceptions étriquées et en devenir, tendant vers « l’Être humain » vrai, (au sens où l’entendait Jiddhu Krishnamurti et certains peuples Amérindien), ces idéaux donc, sont des outils d’inspirations mais non des réalités en eux-mêmes ! Cela “Oublié” (de façon plus ou moins volontaire ou très intéressée), ne reste que le désastre et les ruines de l’erreur érigée en dogme ostentatoire hiérarchisé d’institutions, « une illusion hanté de prédateurs », pour reprendre l’expression du naturaliste Théodore Monod, au lieu de nous nourrir au “Cœur léger” vers les sublimes inspirations au bien commun de tous les êtres ! La différence en somme essentielle entre “l’esprit et la lettre” ! Rien ne nous excusera au moment de quitter cette Terre qui nous a accueillie si généreusement, d’avoir renoncé pour quelque motif que ce soit à notre propre réflexion et « intelligence du Cœur ».

Rien ne nous oblige à succomber aux “charmes ostentatoires” et autres discours fallacieux des “prophètes du malheur” !

(ceci nous été librement inspiré de propos attribués au maître zen Norman Fisher, dans l’ouvrage de Jack Kornfield, « Après l’extase, la lessive. », p.189/90)

 

 

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note :1 « Au Village des Pruniers, où de nombreuses personnes venant de différentes traditions viennent pratiquer, il n’est pas rare qu’un bouddhiste trouve un chrétien plus bouddhiste qu’un autre bouddhiste. Je vois un bouddhiste, mais sa manière de comprendre le bouddhisme est assez différente de la mienne. Et quand je regarde un chrétien, je vois que sa façon de comprendre le christianisme et de pratiquer l’amour et la charité est plus proche de ma façon de pratiquer que celle de cet homme que l’on dit bouddhiste.

C’est tout aussi vrai du christianisme. Vous pouvez vous sentir très éloigné de votre frère chrétien. Vous pensez que le frère qui pratique dans la tradition bouddhiste est bien plus proche de vous comme chrétien. Le bouddhisme n’est donc pas le bouddhisme et le christianisme n’est donc pas le christianisme. Il existe de nombreuses formes de bouddhisme et de nombreuses façons de comprendre le bouddhisme. De même, il y a bien des manières de comprendre le christianisme. C’est pourquoi il faut se défaire de toute idée préconçue sur le christianisme et le bouddhisme. » Thich Nhat Hanh « BOUDDHA et JÉSUS sont des frères », (p. 17, Éditions Le Relié © mai 2001)

note :2

En effet, le développement de l’éducation jusqu’à un âge avancé dans les sociétés de « type occidental », les échanges culturels et les moyens de communication avec leur rapidité, ont complètement reformulé les données d’approches. Dans cette nouvelle dynamique, « la foi du charbonnier » ne trouvera plus guère sa place. L’humanité, que nous l’acception ou pas, a franchi un stade dans la sophistication et l’étendue des connaissances disponibles pour l’humain.

Par ailleurs, un vrai « maître » doit savoir qu’il n’est que l’auxiliaire référent du seul « vrai maître en soi » de chacun. Son rôle doit se borner à en être « le révélateur », si l’on peut dire, à travers les symboles actifs des « passages » : le roc de pierre, le jaillissement de l’eau et sa transformation en vin. Le « postulant » a ses propres caractéristiques, et elles varient tellement d’un être à un autre ! Ce qui est bon et valable pour les uns à une période donnée peu devenir nocif à d’autres périodes et/ou pour d’autres personnes. Il y a les grandes lignes générales, ensuite s’affine la quête et les événements font le reste … rien n’est vraiment prédéterminé. Le degré d’exigence porté au fond de soi est le principal moteur qui nous guidera au milieu des écueils.

Ce qui est vrai, c’est que lors de la mise en place de techniques élaborées à fortes dynamiques et comportant des risques importants, si les choses ne sont pas bien suivies et encadrées ; il appartient au « couple » maître/élève d’avoir la bonne relation de confiance pour qu’il n’y ait pas de « dommages collatéraux » ! C’est une co-responsabilité qui se met en place. Si il advenait que l’entourage du maître ne soit pas fiable, il vaudrait mieux ne rien entreprendre alors … les conséquences pourraient devenir absolument ingérables !

En outre, Thich Nhat Hanh émet sur ce sujet une hypothèse à base de données et de réflexions qui vont dans ce sens. Dans « Bouddha et Jésus sont des frères », p. 67 (Éd. Pocket © fév. 2013), il donne ainsi une évaluation et une perspective qui vont avec l’époque et le cycle qui se met en place de nos jours :

« On dit que le Bouddha du futur, Maitreya, est le Bouddha de l’amour. Nous pratiquons pour que son apparition devienne réalité. Nous préparons le terrain pour ce futur Bouddha. Le Bouddha du futur sera peut-être une Sangha, une communauté de pratique, une communauté de gens qui partagent les mêmes valeurs, et pas seulement une personne, parce que l’amour doit être pratiqué collectivement. Nous avons besoin les uns des autres pour que la pratique collective de l’amour devienne une réalité. »

 

 

* — « Trois Joyaux » : Ils représentent la trilogie composée par le Sakymuni Gautama soit le « Bouddha historique », le contenu de ses enseignements tels qu’ils nous sont parvenus à travers diverses sources, et par le troisième, la communauté des êtres inspirés par les deux premiers.

** Thich Nhat Hanh est quant à lui plus précis dans « BOUDDHA et JÉSUS sont des frères », p. 22 (Éditions Le Relié © mai 2001) :

— « Selon l’enseignement du Bouddha, il n’y a pas de naissance, seulement une continuation. »

*** (“positivisme comtien”, Auguste Comte 1798-1857, dans la revue Imprévue « Itinéraire du Positivisme » Michèle Soriano, ed. C.E.R.S. © 1997, Université Paul-Valéry – Montpellier)

**** Don Cupitt est né en 1934 dans le Lancashire, en Angleterre. Il est un ami de Stephen Batchelor, qui est parfois décrit comme son homologue au sein du bouddhisme.

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