Lire Giono au printemps. Comme beaucoup d’autres avant moi, je prends la bêche, je retourne la terre et je lis du Giono. La terre sur les mains, la terre dans les pages. La solidité du papier et de l’outil réunis. Le bruit et la fureur de chaque côté, qui grondent à l’horizon.
Dessous les casques, on voyait luire les yeux des hommes jusqu’au fond de la troupe. ça semblait des pierres luisantes comme quand on découvre la lanterne devant toute l’assemblée des moutons. (111)
Fureurs du monde qui grondent, éclats qui s’abattent. Pas seulement sur les hommes, qui en sont les vecteurs, mais aussi sur les bêtes, les chemins, les arbres. La grande originalité de ce roman, c’est de nous parler de 14 à ras de terre. Bêtes et bipèdes mêlés dans la même boue, harcelés par les mêmes mouches, trempés par la même pluie. Matières qui se répandent dans un monde constamment vivant, plein de paix ou plein de guerre, toujours frémissant. Quoiqu’il arrive, toujours le vent souffle, toujours les saisons se succèdent, mais la tonalité du vécu humain peut être en plénitude ou en déchirement.
Si j’étais la lampe, il pense, la lampe, l’arbre, cette table, la truie, je resterais. Si j’étais le chien, je resterais. Si j’étais le chien… (83)
Les moment, les lieux, les paysages, l’avancée des troupes, les tranchées se mélangent en un brouillard de temps et d’espace. Désorientation, hébétude. Et le désir qui s’agite dans le ventre des femmes, comme une continuité. L’esprit axé sur la conscience de vie, Jean Giono dit tout du chaos, de la souffrance qu’il engendre et de la stabilité des liens avec l’environnement naturel.
Un ronflement de douleur déborde de Jules, et Joseph est tellement lourd de sa pitié qu’il voudrait la vomir, s’en débarrasser, la vomir là au bord de la route, la laisser et s’en aller, mais plus endurer ce qu’il endure : cette force qui n’est plus qu’une petite eau perdue à lutter contre le mal des autres. (51)