Il est probable que ça paraîtra cruel, mais je ne vois vraiment pas à qui je devrais encore mentir aujourd’hui. Je peux me permettre d’écrire la vérité, tous ceux à qui j’ai menti pendant ma vie sont morts. (51)
Je ne crois pas avoir été autant labourée en profondeur depuis L’épervier de Maheux de Jean Carrière. Marlen Haushofer va fouisser dans les profondeurs de l’être, sans concession, gratter comme une taupe aux griffes acérées jusqu’à dénicher les racines de nos dynamiques vitales. C’est un roman brut, terrien, animal. Il y a une inconnue à l’équation, l’évidence de ce mur, autour duquel elle échafaude quelques théories, mais qu’elle ne cherche pas vraiment à résoudre. Un mur pas tout à fait plausible – si vers de terre et insectes de toutes sortes sont réellement morts, il est biologiquement impossible que deux ans plus tard, le pays ne soit plus qu’une vaste étendue verdoyante et fleurie – mais dont on ne doute pourtant pas. L’empoignade se situe tout entière sur le plan existentiel. Une sorte d’expérience de zen extrême.
Je ne sais pas si j’aurai assez de force pour vivre seulement en face de la réalité. (265)
Ecartées les distractions pour l’esprit, écarté le sens supérieur qu’on pourrait donner à sa vie, écartée l’identité sociale. Le temps est immobile, indiférent, omniprésent. Le rien est à portée de main. Seul le poids de la responsabilité envers les autres, vache, chats, corneille, seul l’attachement à ces êtres inconnaissables, fourni l’énergie pour continuer à se lever chaque matin. Prendre soin et voir disparaître. Apprivoiser ce moi nouveau dont je ne suis pas sûre qu’il ne soit lentement aspiré par un nous plus grand que lui.
Peut-être que les animaux vivent jusqu’à leur mort dans un monde de terreur et de ravissement. Ils ne peuvent pas fuir et doivent jusqu’à la fin supporter la réalité. Leur mort elle-même est sans consolation et sans espérance, une mort véritable. (264)
Marlen Haushofer parle d’une vérité que je n’ai pas tout entière saisie. Ce qui fait la beauté radicale de son texte. Percutant, fascinant, il transforme profondément. Questionne notre conscience et notre place au sein du monde naturel.
Ce n’est pas que je redoute de devenir un animal, cela ne serait pas si terrible, ce qui est terrible c’est qu’un homme ne peut jamais devenir un animal, il passe à côté de l’animalité pour sombrer dans l’abîme. (56)