Mariusz Wilk, La maison au bord de l’Oniégo

Vabres l'Abbaye, confluence de la Sorgues et du Dourdou

Vabres l’Abbaye, confluence de la Sorgues et du Dourdou

Oui, je vais encore plus loin. Kliouïev est un mystique (un homme à la conscience élargie), il n’est donc pas dit qu’il ne pouvait pas être en esprit dans un lieu où il ne se trouvait pas physiquement. (214)

La fenêtre de la maison du Zaoniégé qui donne sur l’Oniégo me devient au fil des livres aussi familière que celles de ma propre demeure – qui ne donnent sur rien d’autre que des murs et des bouts de ciels aveyronnais. J’essaie de mettre en oeuvre ma conscience mystique pour la faire apparaître momentanément dans mon espace-temps. Mais je suis malheureusement la seule à la voir… comment partager une vision mystique avec ses proches ?

J’ai le ciel dans les yeux
Parce que je suis le fils des grands lacs… (236)

Dans La maison du vagabond (qui vient chronologiquement après ce journal), Mariusz Wilk parle du lac comme d’un miroir. Et je commence à comprendre, par ce biais, ce que je cherche et qui me touche chez les écrivains contemplatifs : une façon d’observer et de rendre compte dénuée d’auto-centrisme. Non pas qu’ils ne parlent pas d’eux-mêmes, de leurs vies et de leurs ressentis, c’est la subjectivité qui fait toute la singularité et la saveur d’un livre, mais leur ouverture de coeur est un miroir sans saisie personnelle.

C’est la même chose dans le Nord où une soudaine tempête de neige, le gel prolongé ou les chocs sourds de la glace peuvent décider de la vie et de la mort. Dans de telles conditions, l’homme devient vigilant. Il sent sous lui l’abîme. (179)

Vivre dans une maison isolée du Grand Nord au bord d’un lac, une maison qui devient un phare dans la nuit dès lors qu’elle est raccordée à l’électricité… ce type de pensées romantiques flottent au beau milieu de ma lecture. Pourtant, si je fais l’effort de revenir à des considérations plus réalistes, je me rends compte qu’il faut être taillé pour une telle vie : hiver à -40°, désertification des villages, avidité des nouveaux russes pour les ressources naturelles du pays… Les esprits païens – Korba dans les bois, Domovoï dans les foyers, Vodianoï au fond des eaux – ont du mouron à se faire même s’ils ont déjà survécu à la dévastation culturelle apportée par le communisme. Demeurera-t-il encore sur ces terres, d’ici quelques décennies, des saltimbanques de l’existence pour célébrer la fête paganiste d’adieu à l’hiver, le moment où la lumière prend le pas sur la nuit, en se régalant de blinis, ces mini-soleils ?

 

Des poissons du néolithique se sont conservés dans les gravures rupestres de Biessov Nos : la célèbre figure de la Grosse Lotte (qui est à droite de Biessikha), également un saumon empalé sur une sorte de harpon archaïque. Cet ornement caractéristique avec lequel les potiers primitifs du Nord décoraient leur œuvres en pressant dans de l’argile fraîche des arrêtes dorsales de poisson a permis aux archéologues de distinguer ce qu’on nomme la culture des sperrings (Ve-IVe millénaires avant notre ère). (148)

L’hiver a enfin commencé pour de vrai. Après des semaines d’un temps humide et sombre de fin d’automne, avec un vent à vous enlever la jugeote de la tête et à en faire une coquille vidée pour la soulever ensuite et la fracasser contre la pierre angulaire de la première maison venue, finalement, le vent du Nord avait nettoyé le ciel des nuages lourds et la lumière du soleil ruisselait. (157)

Nous voilà donc coupés du monde pour de bon. On ne peut plus se traîner que sur des skis, mais qui aurait envie de s’esquinter sur cinq verstes contre le vent dans une pareille tempête ? Les pêcheurs les plus enragés préfèrent rester au coin du feu et ne pas mettre le nez dehors, sans parler des touristes de hasard et des citadins de passage ! Pour moi d’ailleurs, tant mieux, car héberger dans ces conditions quelqu’un qui n’est pas habitué à la solitude, c’est accueillir un hôte qui volerait mon temps, peut-il y en avoir de plus indésirables ? (173)

 

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