Devant une telle écriture, je suis restée scotchée. Je ne m’y attendais pas. Elle m’est tombée dessus comme un paquet de neige glissant d’un arbre. Non seulement Maurice Genevoix utilise du patois, bouscule les genres, mais il s’amuse aussi avec la langue et invente le terme qui lui manque : une fourrure peladeuse, des tanches dégouttelantes, les doigts entrefermés. Pas une page de tournée sans ouvrir le dictionnaire.
Habité, physique, nourri d’humus et de brumes matinales, c’est un roman incarné, solide. Les personnages ont du coffre, de la consistance, des bras, des jambes, des trognes. Raboliot est un animal des bois, instinctif, les moustaches frémissantes, jouissant de la liberté qu’offrent les taillis, écoutant les bois respirer comme ils respirent quand les hommes n’y sont pas. Les descriptions sont superbes, évocatrices, pointant les détails qui mettent tout de suite le paysage en place, rappelant ce que nos sens ont perçu dans des circonstances similaires. Le brouillard, les mottes de terre spongieuses, l’élasticité des ronces habitent notre perception du monde et débordent sur l’imagination. Ce roman respire toute la force d’âme de l’auteur. Dignité et intégrité y sont défendus avec noblesse.
Un véritable éblouissement.
Un putois a beau être fin, il n’est pas libre de ne pas puer. (23)