Jean Carrière, L’épervier de Maheux

Plateau du Lévézou, chemin des éoliennes - Jean Carrière, L’épervier de Maheux

Plateau du Lévézou

Il faut s’accrocher pour démarrer. Les phrases ne sont pas simples. Jean Carrière nous offre une langue râpeuse, rude et tellurique, toute de cailloux et de douleurs. Le pays est lourd, âpre, peu enclin à la présence humaine. C’est un endroit où il n’est pas de maîtresse branche ni de poutre à portée de main qui n’aient offert au moins une fois la tentation d’y accrocher un bien vilaine corde. Une peinture du pays cévenol qui sort des sentiers touristiques.

Le vieux Reilhan, taiseux lunaire, trouve sa consolation dans la navigation à travers les grands espaces avec enfin le ciel immense pour lui seul » quand il peut emprunter un cheval pour labourer ses champs hauts. Samuel, le benjamin, cultive son handicap par mollesse et se débat avec une mère omniprésente. Abel, l’aîné, est un ours des montagnes buté. Il s’acharne à tirer avec un mauvais fusil sur une cible inaccessible. Les personnages secondaires ont autant de densité que les personnages principaux. Ils marquent, frappent l’imagination de leur réalité.

Le médecin, surtout, personnage cynique, cultivé, au regard distancié, parsème le roman de ses commentaires, témoin désabusé mais aimant à sa façon. L’irréalité des apparences matérielles face à la vie de l’esprit, la valeur dérisoire de l’être humain écrasé par les parois de la montagne, la superficialité de la vie courante, l’habitent à le hanter.

Il vaudrait mieux être une pierre que ce nous sommes. (315)

Un de ces bouleversements littéraires qui remuent l’intérieur comme il en arrive rarement. J’ai été soufflée.

Prenons un exemple : un beau matin, des messieurs très calés décident qu’il faut soigner les crétins du Haut-Pays (tenus pour tels) : ces énergumènes baveurs et ravis qu’on rencontre parfois là-haut assis au pied d’un arbre, et qui ont avec les papillons ou le vent de mystérieux conciliabules, les empêchent de dormir. Soigner, c’est- à-dire essayer d’ajuster le comportement d’un zèbre qui vit au milieu de ses chèvres dans un isolement presque total, sur celui du premier couillon venu, et d’ailleurs parfaitement abruti par les cohues, le tiercé, les bistrots ou le cinéma. On voit qu’il ne s’agit pas du même animal. Guéris, c’est-à -dire bons pour l’abrutissement général, on les renvoie chez eux. (22)

Le monde autour de lui continuait à vivre sur sa lancée personnelle qui n’était pas celle des hommes, insoucieuse et sans projet, tout entière dans la gloire d’un instant de création qui durait depuis quelques milliards d’années. (296)

 

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