Récit autobiographique, comme Le nez dans l’herbe, qui l’a précédé, Le prix d’un Goncourt est beaucoup plus douloureux. Le ton est plus réaliste, plus proche du récit. Plus intimiste aussi.
Jean Carrière reprend beaucoup d’éléments déjà abordés mais en les approfondissant. Sur son enfance, notamment. Il raconte en détail le passage, à l’âge de 8 ans, de l’état de larve musicienne à celui de papillon ivre de vent, de terre et d’herbe. Puis le basculement, 10 ans plus tard, la perte du lien vivant avec la réalité, la plongée dans l’angoisse, la décomposition des sens qui rend le présent inhabitable.
C’est cette faille entre un présent désert et un passé luxuriant qui l’amènera à l’écriture.
La réception du Prix Goncourt ne fera qu’aggraver cet état. Le petit monde parisien de ceux qui s’imaginent avoir sucé la Tour Eiffel pour la rendre pointue [Jean Giono] et les attentes des lecteurs mèneront Jean Carrière vers la panne, l’état de légume, l’infirmité mentale qui me fourrait sous les couvertures.
Il n’y avait plus ni haut ni bas, ni envers ni endroit, ni dedans ni dehors. (987)
Il connaîtra une résurrection en 1984, grâce à l’arrivée sur le marché d’une nouvelle molécule qui jugule ses états maniaco-dépressifs. L’Aigoual lui tend alors les bras.
En somme j’étais devenu un homme à peu près normal, c’est-à-dire capable de s’utiliser sans brûler vif. (999)
Un témoignage déchirant où l’auteur se met à nu.
Je finis par douter du principe selon lequel être c’est savoir qu’on est : je n’ai jamais connu de vie si profonde qu’à cette époque où je n’existais qu’à travers la présence légère des choses – des parfums et des sons qui tournent dans l’air du soir. (899)
Le symbole peut sembler assez simpliste, mais il me permet de schématiser la situation d’équilibriste qui a toujours été la mienne. L’écriture s’alimente dans ce grenier empli de fantasmes; à chaque fantasme auquel la mémoire est soumise correspond un démon qui ne dort que d’un œil et que réveille la moindre manipulation des souvenirs. L’écriture n’a jamais guéri personne ni soulagé l’écrivain que tourmentent sans trêve les questions insolubles. (931)