Allez et cheminez dans la beauté. (248)
Comment lire ce texte ? La question se pose d’emblée car la forme n’est pas immédiatement naturelle à notre cerveau nourri de romans et d’essais. J’ai tourné autour pendant un certain temps, le flairant comme un coyote, en espérant qu’une facette de ma personne réagisse. Par quelle grâce le déclic s’est-il fait ? Une conscience plus aiguisée du chaos du monde ? Une tournure d’esprit soudainement ouverte aux transmissions orales ? Je ne sais. Toujours est-il que le mythe de la création navajo a fin par me parler.
Sa dynamique tout entière est contenue dans les notions d’harmonie (hozho) et de chaos (hoxho).
L’émergence des insectes du monde inférieur (toute pleine d’une vérité biologique : que serions-nous sans les vers de terre et autres habitants minuscules ?) se fait par alternance d’ordre et de désordre. À chaque fois qu’ils brisent la confiance de ceux qui les accueillent, ils sont obligés de quitter le monde dans lequel ils sont pour traverser le ciel et aller plus loin, ceci par quatre fois. La construction du cinquième monde, dans lequel ils vont finalement s’établir, se fait sur la base du quatre (quatre vents, quatre dieux, quatre montagnes…) Mais elle est sans cesse contrariée par Coyote, « Premier trouble-fête ».
Plus que tout autre personnage du cycle, le Coyote incarne l’instinct de survie, l’obstination à vivre, le refus de disparaître. De manière symbolique, il est vu comme la force qui transcende en chacun toutes les dispositions à l’autodestruction, à la négation, à la folie, aux conduites antisociales. (460)
Coyote… la grande star des récits amérindiens… cet enthousiaste à la Gaston Lagaffe, créateur d’une nouvelle réalité par ses frasques, qui nous rappelle sans cesse de ne pas trop croire au confort et aux histoires qu’on se raconte. Passionnante opposition entre l’esprit rationnel et les mouvements d’un monde incertain.
Monstres, empoignades avec les forces telluriques, équilibre homme-femme, les fondamentaux de la culture navajo incitent à plonger dans les profondeurs pour rétablir l’harmonie.
Lorsque j’ai commencé à lire les récits écrits de la tradition navajo et d’autres traditions amérindiennes, j’ai eu le plus grand mal à reconnaître parmi les personnages ceux qui étaient physiquement et essentiellement humains et ceux qui ne l’étaient pas. Peu à peu, cependant, je me suis rendu compte que la distinction ne devait pas nécessairement être faite selon des critères propres à notre mode de pensée occidental. La relation entre l’humain et le non-humain dans les narrations navajos est bien vue par Luckert, qui introduit le terme de « flux préhumain » et explique comment il doit être compris. Cette expression, écrit-il, « se réfère à la parenté originelle de l’homme et de toutes les créatures du monde vivant, et au lien qui existe entre tous les êtres animés. » Dans le monde malléable « des temps mythiques préhumains, tous les êtres vivants existaient en état de flux, avec des formes extérieures interchangeables ». Le monde des créatures animées comprenait « tout ce qui se déplace dans l’air et dans le ciel, sur terre, sous la terre et dans la mer. » Même les dieux faisaient partie de ce monde et de sa population bigarrée d’êtres vivants n’ayant pas encore de forme stable. (450)