Spiritualité ; de quoi s’agit-il exactement ?
À travers ce « blog », nous nous proposons, dans le chaos de l’humain d’hier et d’aujourd’hui, d’essayer de recentrer ce dont il est question, et plus précisément, de proposer de définir les contours de ce dont il nous paraît être, et de discerner ce que cela n’est point, même si cela s’en réclame parfois !
Essai non-exhaustif, mais tentative d’assainir le propos, dans ce qu’il faut bien appeler, ce qui se donne à voir comme un véritable chaos, une « foire d’empoigne » !
Nous citerons abondamment, en y donnant toutes les références des ouvrages ou œuvres, des chercheurs de disciplines différentes mais ayant un rapport direct avec l’objet de ce que nous avons en vue.
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En premier lieu où il est question des déterminismes
— Où il est question de la base commune du vivant
Professeur Henri LABORIT,
(travaux sur le comportement humain)
Introduction
… La seule raison d’être d’un être vivant, c’est de maintenir sa structure en vie, sans quoi cet être ne serait tout simplement pas !
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— Le règne végétal :
Il se maintient en vie sans déplacement et puise sur place ce dont il a besoin et développe ses propres moyens de défense passive.
— Le règne animal (qui comprend l’humain) :
Lui se déplace pour consommer ce dont il a besoin ; il agit donc dans un espace donné, à la différence du végétal qui lui évolue dans un espace donné de façon statique.
Pour ce faire, « l’animal » doit impérativement et nécessairement être pourvu d’un système nerveux à fin de pouvoir se mouvoir dans un espace. Ce système nerveux permet d’agir en interaction avec et dans l’environnement qui est le sien, et y assurer ainsi sa survie.
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— La pulsion du vivant s’oriente vers le maintien de l’équilibre biologique, la structure de sa manifestation le porte vers quatre comportements de base :
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le besoin de consommation énergétique
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les comportements d’évitement et/ou de fuite
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les comportements de lutte, de rivalités
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les comportements d’inhibitions
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— L’évolution des espèces est par nature « conservatrice »
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le premier cerveau, appelé « cerveau reptilien », déclenche les réactions qui permettent à l’ensemble de l’organisme d’assurer sa survie et sa pérennité.
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le second cerveau, abrite et gère l’affectivité ou plus exactement l’embryologie de la mémoire (mammifères à divers degrés, certains céphalopodes comme les coléoïdes, ou encore parmi les oiseaux)
Sans la mémoire de ce qui est agréable, désagréable, il ne peut y avoir de notion de ce qui peut être « heureux », de tristesse, de connaître l’angoisse des peurs ; sont inconnues la colère, le sentiment d’un attachement ; c’est une mémoire réactionnelle qui s’exprime par des agissements fonctionnels.
— le troisième cerveau est le cortex cérébral
Dans l’espèce humaine, il a connu un développement considérable appelé « cortex associatif ». Ceci veut dire qu’il associe les voies nerveuses, sous-jacentes, qui ont gardé la trace des expériences passées. Il les associe de façon différentes de celles du moment où elles ont été « impressionnées » par l’environnement à l’instant même de l’expérience !
En clair cela signifie qu’il va pouvoir créer, réaliser, induire un processus d’imagination créative.
Dans le cerveau humain, ces « trois cerveaux » n’en forment qu’un en globalité, celui-ci existant pleinement.
Par ailleurs, nos pulsions sont, elles, toujours très primales, issues du cerveau reptilien.
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— Ces trois cerveaux chez l’humain doivent fonctionner de concert ; pour ce faire ils sont reliés par des faisceaux.
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l’un est le faisceau qui induit le sentiment de gratification, de « récompense » ou encore de « consolation ».
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l’autre, à l’inverse, est le faisceau de la sanction, ou du « punitif », et c’est celui qui va déboucher sur la réaction de fuite puis/ou de lutte.
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Un autre faisceau va aboutir à l’inhibition en action immobile
Des exemples de stimulations tels que les caresses du parent vers le jeune enfant, ou dans le sociétal, la décoration du militaire flattant son narcissisme, ou encore les applaudissements qui vont accompagner les protagonistes d’un spectacle, libèrent des influx chimiques dans les faisceaux de la récompense, aboutissant au plaisir de celui qui en est l’objet.
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— La mémoire ; ce qu’il faut en savoir, c’est qu’au début de l’existence, ce « trois-cerveaux-en-un », est encore largement immature. Ainsi dans les deux ou trois premières années de sa vie, l’expérience qu’un humain aura du milieu qui l’entoure, sera indélébile et constituera quelque chose, constituera un aspect considérable dans l’évolution de son comportement au cours de toute son existence.
Nous devons bien nous rendre compte que ce qui pénètre dans notre cerveau depuis notre naissance, voire avant, à la fin de l’état fœtal, que les stimulus qui ont pénétré dans notre système nerveux, nous viennent essentiellement de l’extérieur, de « autre », et que quelque part nous sommes les autres … en renvoi ! Quand finalement notre corps se meurt, ce sont de fait ces « autres » que nous avons intériorisé dans notre système nerveux, qui nous ont construit ou plus exactement qui ont en quelque sorte construit notre cerveau, qui l’ont rempli, et qui finissent par mourir. Ce sont des illusions qui meurent …
22 : 50
— Ainsi nos « trois-cerveaux » sont là, mais nous sommes rarement conscient de la façon dont ils fonctionnent, en avons nous seulement une idée ! Et de fait nous ne nous rendons pas réellement compte de ce qu’ils nous font faire la plupart du temps … !
— Le monde des pulsions du premier cerveau, les automatismes d’encodages culturels divers du second cerveau, offrent au troisième cerveau la capacité de nous fournir un langage explicatif. Ces « explications » prennent la forme d’alibis et/ou excuses, réinterprétant toujours ce fonctionnement sans réelle vraie conscience des deux premiers.
— La représentation de notre non-conscience est un océan abyssal, et ce qui nous apparaît comme intelligible en conscience, n’est que l’écume des jours à la crête des vagues qui naissent, pour disparaître l’instant d’après et réapparaître le suivant, et ainsi de suite, partie très superficielle de cet océan effleuré tantôt par la brise ou à d’autres moments écorché et agité par des vents féroces, violents et brutaux.
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— Nous avons donc vu quatre types de comportements majeurs chez l’homme.
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Celui d’appropriation ou consommation et satisfaction de ses besoins fondamentaux.
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Le second est un comportement de la gratification ; c’est la mémoire de l’action qui aboutit à la satisfaction, l’on essaye de la renouveler, ou de se mettre en situation qui permettra éventuellement ce renouvellement.
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Le troisième comportement répond à celui ressenti comme sanction, voire dans l’identification comme punition, soit dans l’évitement, la fuite, soit par l’affrontement et la lutte qui se proposent par réaction, de réduire à l’impuissance ou de détruire, ce qui est ressenti comme objet menaçant.
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Le quatrième est un comportement d’inhibition, c’est ne plus se mouvoir, être dans un immobilisme de tension en attente, qui rapidement risque dans son prolongement de se transformer en peur irrépressible conduisant à la panique de l’angoisse. Soit l’impossibilité d’agir sur/dans l’environnement d’une situation semblant sans issue, ou d’agir pour le dominer.
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— Car l’action permet l’ordre, le maintien de l’équilibre biologique dans un environnement donné, dans un champ d’actions possibles. Mais dans le sociétal, les cadres et carcans rendent très complexe cet exercice, si bien qu’il est rare que la lutte réelle soit possible, lorsque la fuite n’est pas envisageable ou efficace .
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— Quand par les déterminismes de la vie se produit un comportement de compétition et non pas d’émulation saine, créatrice et constructive, il y a gagnant et perdant, il y établissement d’une dominance d’un sujet sur un autre. La recherche d’une dominance dans un espace donné est « territoire », et c’est la base de tous les comportements humains et ceci en pleine inconscience, dans la quasi totalité des situations, des motivations profondes.
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— Il n’y a donc pas à proprement parler d’un soit-disant « instinct de propriété » chez l’humain, ni « d’instinct de domination », mais simplement l’apprentissage du système nerveux d’une personne, de la nécessité pour lui de garder à disposition un objet, un être, qui est aussi désiré, envié par un autre être. Ainsi il sait par apprentissage que, si il veut garder l’objet et l’être à sa disposition, il devra le dominer.
01 : 15, 30
— Nous, notre manifestation, sommes donc en grande partie « autre » et « les autres ». Un petit d’homme, un enfant laissé livré à lui-même, sauvageon dans la nature, ne deviendra jamais à proprement parler « humain », il se conduira comme un petit animal, sans marcher ni parler, il aura une brève et courte pauvre vie …
Grâce au langage, l’humain a pu transmettre de générations en générations, toutes les expériences qui se sont faites au cours de milliers d’années dans ce monde, sur Terre. Assurer à lui seul sa survie, dans l’isolement, depuis son jeune âge, en dehors de ses proches et congénères, ne lui est plus possible depuis très longtemps. L’humain a nécessairement besoin de ses semblables pour devenir à son tour un jour proprement humain, c’est ainsi.
La survie du groupe est liée à l’apprentissage du petit de l’homme dès son plus jeune âge, de ce qui est nécessaire pour vivre « en accord » dans la société humaine qui l’entoure et la nature environnante. Il apprend rapidement comment se comporter pour que la cohésion du groupe puisse exister. Il lui est stipulé ce qu’il doit faire, sanctionné ou récompensé, quelle que puisse être sa propre recherche de ses envies, suivant que son action est conforme à la survie du groupe.
01 : 19, 40
— Par la suite nos pulsions et nos automatismes culturels seront masqués par un langage, un discours, logique en apparence, car ces langages dissimulent les causes de ces dominances laissant croire à l’individu qu’en œuvrant pour l’ensemble sociétal, il réalise sa propre condition et ses propres souhaits. Alors que la plupart du temps, il ne fait que maintenir la situation hiérarchique qui se cache sous des alibis d’expression de langages. Ces alibis sont eux-mêmes fournis par le langage, qui sert en quelque sorte d’excuse.
01 : 24
— Se profilent alors des perturbations biologiques et psychosomatiques très profondes, en relation avec l’inhibition, cheminant vers de l’angoisse, qui mettent l’organisme plus ou moins en état de vulnérabilité dans ses équilibres et défenses naturelles.
Un système nerveux ne sert qu’à une chose, agir. L’esprit de lutte, qui n’évite ni les désagréments ni n’offre vraiment de solutions, permet toutefois le maintien d’un équilibre organique et physiologique.
Or, le problème c’est que le sociétal qualifie et range l’expression de cette lutte défensive comme de « l’interdit ». Cette prétendue « agressivité », qui n’est jamais gratuite en le cas d’espèce, vient toujours en réponse suite à une inhibition de l’action. Ainsi elle débouche souvent par une véritable déflagration qui, elle, est rarement rentable ! Mais qui sur le plan du système nerveux est parfaitement explicable.
Ces inhibitions, si elles se prolongent, entraînent toute la pathologie. Les perturbations biologiques qui l’accompagnent peuvent alors se déchaîner (maladies infectieuses, maladies mentales, suicide, accidents corporels divers).
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Le non-conscient constitue un instrument redoutable. Non pas tellement par son contenu refoulé parce que trop douloureux à affronter en toute lucidité, ou parce que son expression peut entraîner les « sanctions » de la « socio-culture », mais bien au contraire par tout ce qui est autorisé et parfois même souvent « gratifié » ou « récompensé » par cette socio-culture, et qui est inculqué dans le cerveau de l’humain en devenir depuis sa naissance, voire avant ?
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Bien que n’étant pas plus conscient de « ce qui est là », c’est pourtant cela qui guide ses actes, ou plutôt devrait-on dire, le réactionnel.
C’est cet « inconscient-là », qui n’est pas le « non-conscient » freudien, qui est éminemment le plus redoutable et dangereux.
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En effet, ce que l’on dénomme comme la « personnalité » d’un humain est due et bâtie pour une large part, sur un « bric-à-brac », un « bricolage », de jugements de valeurs, de préjugés, et de lieux communs qu’il traîne. À mesure que l’âge avance ils sont de plus en plus rigides et de moins en moins remis en questionnements …
Dans cet édifice, ce tas informe pourrait-on dire, le retrait d’un élément de cette architecture branlante, ferait tout s’écrouler de cette structure difforme à l’apparence confortable, et c’est alors l’angoisse irrépressible* liée à un sentiment de vide « néantifiant » (une absurdité en soi, et pourtant … !) à ce jeu de dupe et d’illusions. Cette poussée d’angoisse peut aller aux extrêmes du meurtre, de soi, des « siens » ou du meurtre collectif que sont la guerre, les génocides, les maltraitances en tous genres, grandes et petites, tortures et tourments. Groupes sociaux et individus n’ont alors plus que ce recours pour exprimer leur égarement, voire une détresse pouvant les conduire à la démence.
Par la compréhension des mécanismes en jeu, du pourquoi et du comment, à travers l’histoire de l’humanité et dans l’état actuel des choses, on se rend compte que se sont établies des échelles, des hiérarchies de dominants.
Connaître les règles, les lois qui régissent la gravitation, n’est pas abolir la gravitation elle-même, mais permet de l’utiliser comme un fonctionnement vers des horizons différents, des inspirations novatrices.
Ainsi, se « libérer » du « champ gravitationnel » physiologique, légitime, de l’humain, d’une identité structurelle permanente, solide, bien illusoire, n’est pas abolir ce « champ gravitationnel », mais induit la compréhension de son fonctionnement pour l’orienter, s’en servir et l’utiliser vers autre chose, une autre dimension de notre nature humaine : la pleine conscience de ce que nous sommes « en vérité ».
Tant que l’humain n’aura pas accès, et ce de façon largement diffusée, à la façon dont fonctionne notre nature humaine, notre « trois-cerveaux-en-un » – ces trois parties essentielles en relation avec tout ce qui constitue notre corps individuel, certes, mais holistique et multiple, qui jusqu’ici a été orienté dans la finalité de relation de « domination » – il est totalement illusoire de raisonnablement voir quoi que ce soit changer dans ce que l’humanité donne à voir aujourd’hui comme hier … de ce que sera demain !
(extraits explicatifs et retranscrit par nos soins, de l’œuvre cinématographique « Mon Oncle d’Amérique », Film d’Alain Resnais © 1980
* L’angoisse naît du désir que la vie soit autrement que ce qu’elle est. Face à un monde soumis au changement, ce désir cherche à trouver une consolation dans quelque chose de permanent et de fiable, dans un soi qui a la maîtrise des choses, dans un Dieu en charge du destin. L’ironie de cette stratégie est que celle-ci se révèle être en réalité la cause de ce qu’elle cherche à dissiper. À vouloir soulager l’angoisse de cette manière, nous renforçons ce qui la crée en premier lieu, à savoir le désir que la vie soit autrement que ce qu’elle est. Nous voilà prisonniers d’un cercle vicieux : plus l’angoisse se fait sentir, plus nous voulons nous en débarrasser, et plus nous voulons nous en débarrasser, plus elle se fait sentir.
Un tel comportement n’est pas simplement une erreur stupide que nous pouvons facilement rectifier. C’est une habitude ancrée en nous, une dépendance, qui persiste même lorsque nous avons conscience de sa nature autodestructrice.
(p. 67, « Le bouddhisme libéré des croyances », Stephen Batchelor, extraits © éditions Bayard 2004)
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L’écho explicatif d’une certaine lecture traditionnelle contemporaine
de : Arnaud Desjardins et Véronique Loiseleur
… Une première illusion, la plus grossière, de diriger son destin indépendamment à partir de sa « libre » volonté va tomber.
Je m’aperçois que mes actions ont été des réactions ou, au moins dans certains cas, des réponses. Car il ne faut pas confondre une réaction et une réponse. Dans la réaction, impulsive et compulsive, nous sommes simplement emportés, dans la réponse nous demeurons conscients, établis en nous-mêmes, en possession de nous-mêmes, nous ne sommes pas identifiés. Plus vous observez votre existence, plus vous constatez qu’en fait toutes vos actions ont le plus souvent procédé de réactions mécaniques et non pas de réponses appropriées puisque l’élément de présence à soi-même, de vigilance faisait défaut.
Envisageons notre histoire personnelle depuis la conception. En quoi notre ego tel que nous le ressentons aujourd’hui a-t-il participé à la fusion de l’ovule et du spermatozoïde ? Qu’ai-je décidé en l’occurrence, en quoi ai-je été l’auteur de l’action, l’agissant ? Des chaînes de causes et d’effets très puissantes ont ordonné qu’un homme et une femme soient attirés mutuellement, s’accouplent, que cette femme soit enceinte et qu’un être humain vienne au monde. En quoi votre ego a-t-il ensuite participé au travail de multiplication et de différenciation des cellules qui produit l’embryon puis le fœtus pour constituer en neuf mois un être humain viable, avec un cerveau, un système nerveux, digestif, respiratoire. Puis, vous êtes nés, et ce n’est pas « vous » qui avez programmé l’expulsion de la matrice. L’ego n’y fut pour rien, même si, au niveau des différents constituants de notre être — l’Inde parle des koshas — des marques, des souvenirs voire même un traumatisme profond se sont imprimés lors de cette naissance.
Observons maintenant un bébé ou un petit enfant. Est-ce le sens de l’ego régnant aujourd’hui en nous en tant qu’adultes qui le fait se mouvoir ? Un bébé remue ses bras, détend ses jambes, fait des mouvements qu’il ne contrôle pas encore très bien, qui s’accomplissent d’eux-mêmes. Peu à peu il commence à être plus conscient, il reconnait sa main, la fait bouger, la regarde. Chez le petit enfant qui se met à quatre pattes ou essaie de se dresser, le sens de l’ego est à peine apparu. C’est la nature qui s’exprime à travers lui comme elle s’exprime à travers tous les autres phénomènes, la germination des plantes, la pousse des bourgeons au printemps, la chute des feuilles à l’automne. Ce n’est pas l’ego individualisé qui a programmé le développement d’un enfant selon une croissance prévue et dont les pédiatres contrôlent qu’elle se déroule bien selon les normes. D’ailleurs, les spécialistes en psychologie infantile sont convaincus que le sens de l’ego n’existe pas chez le tout petit mais se forme peu à peu a mesure que celui-ci s’identifie a son corps et à son prénom — une identification « au nom et à la forme », pour parler comme les hindous.
Le petit enfant est donc un être vivant qui peut ressentir, regarder, sourire, tourner la tête, mais qui n’a pas encore cette conscience pleinement établie chez l’adulte par séparation, différenciation et par comparaison entre le bien et le mal ou, d’abord, le bon et le mauvais. Dans les premières semaines, cette opposition est avant tout physique. Le bébé sent comme désagréable d’avoir faim et comme agréable d’aspirer le lait du sein ou du biberon, il sent comme pénible que quelque chose le gratte, le pique, le brûle et comme plaisant que cette sensation douloureuse disparaisse ou le bien-être qu’il éprouve s’il est bercé. C’est ultérieurement que, du plan de la sensation, l’être humain passe au plan des émotions et au plan des conceptions, des idées.
Poursuivons notre investigation. Plus tard, en quoi votre ego est-il intervenu pour décider : maintenant je vais m’offrir la crise de la puberté ? C’est la nature qui nous a tous fait passer par cette étape si importante, parfois difficile à vivre, qui transforme l’enfant en un adolescent. A partir de cette puberté, que nous n’avons ni choisie ni voulue, des désirs vont se lever, plus ou moins admis, plus ou moins refoulés, plus ou moins conditionnés par l’éducation. Et à cause de cette attraction dont nous ne sommes en aucun cas l’auteur, nous allons, garçon, sourire à une fille, l’aborder, lui parler, tomber amoureux d’elle, lui proposer de partir en vacances avec nous ou, fille, essayer de charmer, de séduire, nous maquiller, acheter la robe qui nous ira le mieux. Il vous semble que c’est vous qui agissez : c’est moi qui décide qu’un jeans me mettra plus en valeur qu’une jupe. En vérité, vous décidez à partir de quoi et pour quoi ? Vous vous adaptez à des pulsions et à des forces que la nature vous impose.
Nous ne survivons qu’autant que Dieu le veut bien et que l’énergie divine nous anime. Car, mis à part le suicide, nous ne choisissons pas non plus la date de notre mort. Ce n’est certainement pas notre ego qui décide d’attraper un germe ou un virus, d’être malade et de mourir. Des forces inconscientes profondes sont peut-être à l’œuvre, mais non le sens du moi avec sa conviction d’être l’auteur des actions. Nous mourrons un jour, peut-être ce soir ou demain, sans l’avoir consciemment décidé. Ce n’est pas moi qui décide qu’un automobiliste va brûler un stop au moment même où ma propre voiture franchit ce tronçon de route et que je vais périr dans un accident. Les idées les plus grossières et les plus erronées sur notre libre arbitre sont vite mises en cause. Sans aller jusqu’à des conclusions philosophiques définitives, nous commençons à admettre que cette liberté dont nous rêvions se trouve démentie par les faits, que nous sommes pris dans un immense réseau de causes et d’effets dont nous ne connaissons même pas le commencement et auquel nous sommes sans cesse contraints de nous adapter.
Mettre en cause le sens même de l’ego individualisé est une démarche qui ne s’accomplira pas en une heure de réflexion. Il vous faudra longtemps pour transformer peu a peu votre mentalité, votre vision de vous-mêmes et des choses et intégrer cette étonnante affirmation que le but d’une existence est de découvrir l’état sans-ego dans lequel le moi séparé cesse de jouer son rôle habituel.
(Arnaud Desjardins et Véronique Loiseleur, « La voie et ses pièges » pages 91 à 94, Éditions La Table Ronde © 1992)
« Spiritualité », “ De quoi s’agit-il” – Emmanuel Desjardins
Éditions de La Table Ronde © Paris 2009
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— Nous avons donc, à travers ces deux perspectives, une ébauche de base relativement intelligible des mécanismes organisationnels qui nous animent.
Le Pr H. Laborit nous décrit une situation où ce qui sous-tendrait la Vie n’est pas de l’ordre du questionnement. Il finit par poser une autre question : que produit (ou produirait) des êtres humains « libérés » du poids de la référence à la « domination » ? Quels développements au niveau du fonctionnement de la neuroplasticité du cerveau humain cela induirait-il ?
Henri Laborit, semble assez proche finalement de ce que décrit par ailleurs Stephen Batchelor :
« … l’agnostique fuit l’athéisme tout autant que le théisme, et il éprouve autant de réticence à considérer que l’univers est dépourvu de sens qu’à considérer qu’il en a un. Car nier l’existence d’un dieu ou d’un sens, ce n’est que poser l’antithèse de l’affirmation de leur existence. Cependant, une telle position agnostique n’est pas la marque d’un manque d’intérêt. Elle s’appuie sur la profonde reconnaissance du fait que « je ne sais pas », elle se confronte à l’énormité d’être né plutôt que de chercher le réconfort d’une croyance, elle se débarrasse les unes après les autres des idées qui occultent le mystère d’être là – en l’affirmant comme étant quelque chose ou en le niant comme n’étant rien. Ce profond agnosticisme est une manière d’aborder la vie, affinée par une conscience attentive continue. Cette conscience va peut-être nous conduire à réaliser qu’en définitive nous ne pouvons ni affirmer qu’il y a au plus profond de nous-mêmes quelque chose que nous pourrions toucher du doigt, ni affirmer qu’il n’y a rien. Ou encore, cet agnosticisme se manifestera peut-être par le biais d’une intense perplexité qui résonne à travers tout le corps, laissant l’esprit à la recherche de certitude sans nulle part où se reposer »
(« Le bouddhisme libéré des croyances », p. 36, Stephen Batchelor, extraits © éditions Bayard 2004)
A.Desjardins, V. Loiseleur, font référence à « Dieu », une énergie de Vie de l’ordre du « divin ». La tradition millénaire a observé ce qui se passe dans son humanité, a expérimenté le fruit de ses observations et l’a structuré à l’aide d’un langage symbolique par défaut de connaissances scientifiques plus élaborées.
Quoi qu’il en soit, les deux perspectives nous présentent les forces puissantes d’une globalité appelées déterminismes en aléatoire. Toutes les deux proposent, chacune en fonction de leur « école », non pas l’annihilation de ces déterminismes qui vivent en chacun de nous, mais d’en comprendre les fonctionnements pour ne plus y être assujettis dans des réactionnels aveugles, d’entrevoir une utilisation vers d’autres horizons que ceux qui, à de rares exceptions près et nous y reviendrons plus tard, ont fait le lot commun de l’humanité jusqu’à ce jour, du moins dans ce qui nous est plus ou moins bien connu de notre propre histoire de l’humain.
Une autre humanité est possible, ils l’affirment, reste a s’en donner les moyens … et là visiblement, au vu de ce que nous donne à voir l’humanité d’aujourd’hui, il y a problèmes récurrents ! Or, la Vie sur Terre de l’humain développe une telle exponentielle dans son impact environnemental, qu’elle en arrive à la rupture des équilibres supportables par l’ensemble des écosystèmes.
Ainsi nous sommes en plein accord sur le fond avec ces deux perspectives que nous allons plus amplement développer, tout en nous réservant d’y apporter ce qu’il nous semblera le mieux adapté pour rendre ce propos le plus clair possible, la situation globale semble-il l’exige !