Mue par un élan à tout dévorer, je porte mes pas à l’aveuglette (mais dans l’ordre chronologique) à travers la bibliographie de Jean Giono. Ces miscellanées n’ont pas fait long feu entre mes mains. Entre démonologie, recueil de chansons, évocations d’enfance, attendrissements, je n’ai pas trouvé matière à accroche en-dehors de quelques passages joliment tournés qui enchantent ma sensibilité.
Les jours commencent et finissent dans une heure trouble de la nuit. Ils n’ont pas la forme longue, cette forme des choses qui vont vers des buts : la flèche, la route, la course de l’homme. Ils ont la forme ronde, cette forme des choses éternelles et statiques : le soleil, le monde, Dieu. La civilisation a voulu nous persuader que nous allons vers quelque chose, un but lointain. Nous avons oublié que notre seul but, c’est vivre et que vivre nous le faisons chaque jour et tous les jours et qu’à toutes les heures de la journée nous atteignons notre but véritable si nous vivons. (7)
Une réflexion, cependant, m’a vivement éclairée sur une perception que j’ai de ses écrits et que je n’arrivais pas à formuler :
Le plus magique instrument de connaissance, c’est moi-même. Quand je veux connaître, c’est de moi-même que je me sers. C’est moi-même que j’applique, mètre par mètre, sur un pays, sur un morceau de monde, comme une grosse loupe. Je ne regarde pas le reflet de l’image; l’image est en moi. Le grossissement, c’est au milieu de mes nerfs, de mes muscles, de mes artères et de mes veines qu’il s’écarte. Il n’est pas question de théâtre antique, d’arc de triomphe, d’alignement de pierres tombales : la connaissance que j’ai des choses est aussi entièrement moderne que le battement de mon cœur; elle est aussi préhistorique que le battement de mon cœur, et les jouissances de ma curiosité successivement satisfaite me font vivre en leur succession comme les battements de mon cœur. A ce moment-là, le monde extérieur est dans un mélange si intime avec mon corps qu’il m’est impossible de faire le départ entre ce qui m’appartient et ce qui lui appartient. (174)
Je trouve qu’il y a là tous les éléments pour comprendre la singularité de ses descriptions et de son rapport à la nature, la manière dont ses personnages s’insèrent dans leur environnement. Un jeu trouble entre intérieur et extérieur qui ne manque pas d’une certaine réalité biologique.