André Malraux, La condition humaine, lu par Éric Herson-Macarel

The British Museum, London AN430320001

Toute l’habileté d’Eric Herson-Macarel n’y aura pas suffit : telle le chat, je me suis enfuie pour sauver ma peau à la quatre-vingt-sixième minute. Ampoulée, morbide, d’une tristesse écrasante, cette philosophie-là butte contre mes veines sans pouvoir être absorbée. Le couteau de Tchen rebondit contre ma peau.

 

 

 

 

 

Publié dans Explorations littéraires | Laisser un commentaire

Imbolo Mbue, Voici venir les rêveurs, lu par Julien Chatelet

The New York Public Library 836255

Julien Chatelet est en harmonie avec son affaire. La lecture est vivante, les personnages existent dans toute leur humanité : émotions, élans, doutes, sentiments, ce qui fait qu’on suit le récit sans temps morts et avec un certain plaisir. Ceci dit, je n’en garderai pas un grand souvenir. Aucune part de mystère, pas de trace de ces ombres mordantes ou de cette transcendance qui font la littérature. Tout est dit, raconté, exposé. On est homme et femme, on fait ce qu’on peut pour s’en sortir, tous dans la même galère de la subsistance, ce n’est pas toujours joli-joli, and so what ? Une histoire du soir qu’on écoute avant d’aller se coucher, pour s’endormir en rêvant à la personne qu’on pourrait faire chanter…

 

Publié dans Explorations littéraires | Laisser un commentaire

Agatha Christie, Cinq petits cochons, lu par Samuel Labarthe

The British Museum, London AN1479250001

Les romans d’Agatha Christie ont ceci de magique qu’ils peuvent être multiplement réinerprétés. Samuel Labarthe est aussi agréable sous sa forme d’acteur que dans le rôle du lecteur. Son interprétation est vivante, visuelle, pointilleuse sur les caractères. On ne se mélange pas les pinceaux entre les différents personnages alors que les dialogues abondent. C’est souvent le point faible des livres audio mettant en scène les trames policières de la célèbre romancière. Ici, ce serait presque le point fort. J’ai pris un grand plaisir à la représentation de ce théâtre sonore.

 

Publié dans Explorations littéraires | Laisser un commentaire

Chantal Thomas, Souvenirs de la marée basse

Massif de l’Aigoual, cascade de l’Hérault

Les personnes, au fond, ont un rôle secondaire. Ce sont les éléments qui nous dictent nos conduites. Le soleil ou la pluie, le vent, le sable, les marées. (116)

Je finis mon parcours estival influencé par Le masque et la plume – de l’indigeste Zero K au décadent Vernon, en passant par la dualité intellectuelle Elena-Lina – sur ces pages de tendresse, cette onde de flots calmes. On a rarement mêlé avec autant de finesse et de profondeur ces deux notes homophones, mer et mère. Échos, harmonies, thèmes qui se répondent au fil de l’eau, une grâce apaisante se dégage de l’écriture, fluide et naturelle, mais derrière laquelle on devine un grand travail et un esprit en éveil.

Enfants bleus de froid, nous voulons la morsure cruelle du présent. (84)

Le corps vivant, le pacte des histoires partagées en secret, le sérieux des activités, l’amie nouvelle et soudain demain existe – le vécu d’enfance est exprimé avec une justesse qui étreint de vieilles sensations enfouies. Chantal Thomas réveille un univers de sensations et de pensées oubliées, rend sa force à une conscience déjà pleinement existante par elle-même. Le courant des métamorphoses qui nous entraîne jette un voile sur les épisodes précédents. Mais il permet aussi une distanciation et une réconciliation avec nos attentes déçues, un partenariat entre ces mutuelles étrangetés que nous sommes parfois entre proches, et ce malgré tous nos efforts. Je retrouve cette même idée de fraternité humaine entre parent et enfant que dans la conclusion de Le cri de la chouette d’Hervé Bazin.

Massif de l’Aigoual

Massif de l’Aigoual – Cascade de l’Hérault

Massif de l’Aigoual – Cascade de l’Hérault

 

Publié dans Explorations littéraires | Laisser un commentaire

Elena Ferrante, L’enfant perdue, lu par Marina Moncade

The Rijksmuseum, Amsterdam RP-T-1965-191-64

Cette écoute a été tout du long colorée par le point de vue de Nelly Kaprièlian, qui, au Masque et la plume, a insinué que se cachait un mystère, un jeu de personnalité double, dans la relation entre Lina et Elena. Il est vrai qu’on marche en permanence en équilibre sur le fil de la mise en abîme. Le travail d’écriture – car l’écriture est clairement définie comme un travail dans cette saga, une activité sociale et politique – des personnages recoupe celui de l’auteur. Un jeu d’imbrication des esprits. Et quand l’oeuvre est achevée, Lina disparaît. A-t-elle jamais réellement existé ? Seule demeure Elena. Elena qui tout au long de ce dernier récit nage dans le désarroi, vit dans la conscience de sa médiocrité et de ses insuffisances, semble chroniquement dépassée par les événements. Il faut dire que le chaos ne s’éteint jamais. On hurle, on cogne, on insulte, on trahit, on malmène, le plus souvent par impuissance et maladresse. Les personnages ne tirent aucune leçon de leurs errements, ne se bonifient pas, n’évoluent pas, ne donnent aucune direction à leur existence. Ils pourrissent parfois, c’est tout. Cette persistance des caractères, ce vide derrière l’agitation, finissent par créer l’impression artificielle d’un théâtre. Lina est le trickster, l’esprit créateur sauvage qui ne se réalise pas. On reste sur l’attente de son incarnation dans l’écriture d’Elena Ferrante…

 

Publié dans Explorations littéraires | Laisser un commentaire

Le latin de mon jardin – Diane Adriaenssen

Le latin de jardin n’est pas le latin de Virgile. (22)

Je suis tombée amoureuse de ce livre. Quel crève-cœur que de le rendre à la bibliothèque au bout des deux mois impartis ! J’aurai aimé encore le caresser, le câliner, l’explorer sous toutes ses délicates facettes. L’étymologie m’enchante et les plantes de mon jardin sont la sève de mon existence. L’alliance des deux en fait un objet de délices. Il faut dire aussi que les textes qui le parsèment pétillent d’humour et de finesse d’esprit. On en vient à envier ces artistes de la botanique qui ont tout inventé quand ce domaine était encore en fusion – Aristote, Théophraste d’Erèse, Dioscoride, Pline l’Ancien, Leomart Fuchs, et bien sûr Carl von Linné. On rêve de découvertes au côté des aventuriers de la bouture partis au loin pour découvrir des plantes inconnues (juste pour le plaisir de jouer à la fleur bleue un instant, le voyage ne devait pas être si rigolo que ça). Mais restons raisonnable et à notre mesure. Glaner des graines au cours de modestes escapades ou pratiquer des échanges sur internet en est une version moderne déjà charmante et stimulante.

Aujourd’hui, le Code international de nomenclature botanique stipule qu’un nom botanique peut provenir de n’importe quelle source, et être constitué de manière totalement arbitraire. De la sorte, on trouve des acronymes d’instituts scientifiques, et même des noms très plaisants, qui ne veulent absolument rien dire. Un exemple amusant est celui du Quisqualis (du latin quis ?, qui ? et qualis ?, de quelle sorte ?), dont il existe au moins une trentaine d’espèces. (13)

Je serai bien tentée aussi de me servir de ce latin créatif pour qualifier les spécimens de mon entourage par un nom de genre et un épithète, à la manière amérindienne… ce qui convient aux plantes pourrait fort bien s’appliquer au bipède…

La recherche sémantique et étymologique promet des surprises. Quelques plantes perdront irrémédiablement leur aura dans l’exercice, comme le pauvre myosotis, qui n’est qu’une oreille de souris, ou le fier orchis, réduit à une paire de testicules ! (5)

Le Code établit qu’un nom de genre ou d’espèce peut avoir n’importe quelle origine, même arbitraire. Que ce nom vienne du latin, du grec, d’une langue indigène, d’un nom de personne, d’un lieu géographique, ou même d’une anagramme, il sera toujours réputé latin. C’est pourquoi nous parlons de latin botanique alors que Aucuba et Akebia sont japonais, Ananas est brésilien, Catalpa vient des Indiens d’Amérique, Amélanchier fut repris du provençal et Armeria est d’origine celte. (19)

À une époque lointaine et poétique, où notre pragmatisme n’avait pas encore élevé de barrières infranchissables entre le divin et le mortel, entre l’animal et le végétal, être changé en plante fut le sort de plus d’un. Cette métamorphose résultait de la jalousie ou du courroux des dieux, ou, au contraire, de leur compassion. Epoque bénie où les scènes de ménage et le sang versé faisaient pousser tout un jardin ! (180)

 

Publié dans Exploration documentaire | Laisser un commentaire

Florence Delay, Partition rouge

Massif de l’Aigoual, cascade de l’Hérault

L’angle adopté par cette anthologie est résolument poétique. Elle est un peu foutraque, mêlant les sources et les traditions de divers horizons, mais portée par une vision. Le voyage est chamanique. Ce qui paraît sans direction est une invitation à tracer sa voie vers le rajeunissement mystique en suivant les points cardinaux : est/aube, sud/enfant, ouest/guerrier, nord/mort et retour à l’est/aube. Le cercle et son centre offrent une possibilité de nouveau point de départ permanent.

Coyote. Responsable des choses telles qu’elles sont. (108)

Les paroles de la Ghost Dance, un chapitre sur les noms crees, côtoient des nouvelles de mon vieux cousin Coyote, figure du dérisoire, de l’absurde et du chaos qui entre dans l’interdit. Voilà pourquoi il est un maître. J’ai particulièrement apprécié la partie finale, les chants navajos de la Voie de la Nuit. On est frappé par la place prépondérante et structurante des histoires collectives dans l’équilibre sociétal et personnel. Ce n’est pas Boris Cyrulnik qui dirait le contraire…

Une puissante magie !

Massif de l’Aigoual – Cascade de l’Hérault

Massif de l’Aigoual – Cascade de l’Hérault

Massif de l’Aigoual

Massif de l’Aigoual

 

Je croyais que j’étais un loup
Mais les hiboux hululent
Et j’ai peur du noir

Je croyais que j’étais un loup
Mais j’ai tellement faim
Que debout je suis déjà fatigué

Je suis un loup
Je vais en bien des endroits
Je suis seulement fatigué de celui-ci

Je croyais voir des bisons
Et j’appelai
Je croyais voir des bisons
Et j’appelai
Ah que ce soient des bisons

C’étaient des merles
J’allais vers eux
Et c’étaient des merles

Je croyais voir des bisons
Et j’appelai
Je croyais voir des bisons
Et j’appelai
Ah que ce soient des bisons

C’étaient des hirondelles
J’allais vers elles
Et c’étaient des hirondelles

En fuite éperdue
J’ai chassé les hirondelles
En fuite éperdue
Je les ai fait partir
En fuite éperdue
Avant que les nuages se rassemblent

En fuite éperdue
J’ai chassé mon cheval
En fuite éperdue
Une hirondelle volant et courant
Avant que les nuages se rassemblent

[sioux]

(165)

joyeusement je guéris
joyeusement l’intérieur de moi devient frais
joyeusement je vais de l’avant
sentant le froid à l’intérieur fasse que je marche
n’ayant plus mal fasse que je marche
insensible à la douleur fasse que je marche
avec un sentiment de vie fasse que je marche
comme c’était autrefois fasse que je marche
joyeusement fasse que je marche
joyeusement avec d’abondants nuages sombres fasse que je marche
joyeusement avec d’abondantes averses fasse que je marche
joyeusement avec d’abondantes plantes fasse que je marche
joyeusement avec une piste de pollen fasse que je marche
joyeusement fasse que je marche

[navajo]

(231)

 

Publié dans Explorations littéraires | Laisser un commentaire

Audrey Dussutour, Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le blob sans jamais oser le demander

Cirque de Navacelles, la Vis

La mode est aux livres de vulgarisation scientifique. Sans doute une conséquence des difficultés qu’ont les chercheurs à se faire connaître et à publier. Audrey Dussutour est honnête et franche à ce sujet. La moitié de son livre y est consacré. Dans Le charme discret de l’intestin de Giulia Enders, l’intention était moins franche. La première partie, ludique et pédagogique, était clairement destinée au lecteur, la seconde, plus spécialisée, peut-être plus orientée vers les mécènes…

Grâce au blob, la question se pose : n’existerait-il pas une forme d’intelligence indépendante du cerveau que l’on aurait négligée ? (149)

Audrey Dussutour adopte un ton vivant et enthousiaste. Elle prend le parti de l’humour pour nous rendre sympathique et facilement accessible cet objet non identifié qu’est le blob. Ou pour être plus précise, cette famille d’organismes qui ne sont ni des champignons, ni des animaux, ni des plantes : les mycétozoaires (physarum polycephalum, fuligo septica,…) Ils sont fascinants, on ne peut pas dire… je regrette de ne pas pouvoir avoir un tas de compost chez moi pour en héberger un… comme eux j’affectionne les étés doux et pluvieux et les flocons d’avoine, on aurait des choses à se dire…

Après trois ou quatre mois, il commence à rétrécir, à devenir blanchâtre et finit par mourir. Par contre, si vous le déshydratez pendant son déclin pour qu’il forme un sclérote, et que vous le réhydratez ensuite, toute trace de dégénérescence disparaît. (177)

Plus fort que les théories alambiquées du roman Zero K de Don de Lilo ! Comme quoi l’observation scientifique est parfois plus puissante que les fumeuses triturations mentales.

J’aurai juste préféré, au milieu de ces dessins naïfs de l’auteur qui ont tendance à nous infantiliser (une autre tendance très nette de la littérature actuelle, que Nelly Kaprièlian a bien mis en exergue, au Masque et la plume, à propos de Les nouvelles aventures du fakir au pays d’Ikea), un véritable schéma anatomique de la chose.

Cirque de Navacelles – La Vis

Cirque de Navacelles

La Vis – Vipérine

La Vis – Vipérine

La Vis – Vipérine

 

Publié dans Explorations littéraires | Laisser un commentaire

Elena Ferrante, Celle qui fuit et celle qui reste, lu par Marina Moncade

The Rijksmuseum, Amsterdam BI-F-B-SCHOLEN-1025-XVI-2

On passe de la romance à l’action politique et aux aléas de la création littéraire. Dense, contrasté, douloureux, chaotique, le récit entre dans une nouvelle masse d’air. Il se fait à la fois plus intime et plus engagé. La place de la féminité dans la société devient une question centrale tandis que les relations d’Elena et de Lina glissent vers une sphère mystérieuse, intériorisée. Roman protéiforme, un peu répétitif, aux personnages de plus en plus antipathiques – ou du moins égarés – ce n’est pas l’identification personnelle ou l’empathie qui fait fonctionner l’écoute. Où tout cela va-t-il nous mener ?

 

 

 

Publié dans Explorations littéraires | Laisser un commentaire

Les clés d’un sol vivant – Blaise Leclerc

La vitesse de formation d’un sol est extrêmement variable. Elle dépend notamment de la dureté de la roche-mère et du climat. Mais retenons qu’elle est très lente, de l’ordre d’un millimètre par siècle. Pour obtenir un sol de 10 cm d’épaisseur, il faut donc a minima 10 000 ans ! (15)

J’ai abordé la question du sol pour la première fois avec le livre Révolution au potager de Guylaine Goulfier. Il était tellement entraînant, gai, pétillant, que j’ai arrêté de bêcher mon jardin dès la saison suivante – et bien m’en a pris ! Avec Blaise Leclerc, on aborde les choses de manière sérieuse, un peu sèche, sans émotion. Point de sautillements enthousiastes mais des cours de chimie et de biologie illustrés et accessibles, un militantisme plus marqué. Il me semble qu’être déjà convaincu permet d’en profiter au mieux, sinon c’est un peu aride.

J’ai soigneusement suivi les ateliers pratiques proposés pour évaluer texture, structure et pH de mon sol et j’ai été surprise du résultat : que de sable dans mon potager ! Une vraie plage de méditerranée… habitée d’une forte population de vers de terre.

Jugez plutôt : sous un hectare de prairie (100 m sur 100 m), il y a environ 3 tonnes de champignons, 1,5 tonnes de bactéries, 1 à 2 tonnes de vers de terre, et beaucoup d’autres êtres vivants : algues, protozoaires, nématodes, insectes, cloportes, mille-pattes, etc. Au total les habitants du sol pèsent environ 6 tonnes à l’hectare, ce qui est bien plus que les quelques vaches qui paissent sur la même surface de prairie ! (31)

Un bon bouquin de référence. Manque toujours à mon goût, ce n’est pas la première fois que j’en fais la remarque, un tableau indiquant la profondeur et l’étendue de l’enracinement des plantes potagères, aromatiques et fleurs.

 

Publié dans Exploration documentaire | Laisser un commentaire