Joseph Kessel, Fortune carrée

Quand j’avais une dizaine d’années et que je me refusais à fréquenter le rayon enfant de la bibliothèque de Fontainebleau malgré les incitations appuyées des dames chargées de l’enregistrement, je me suis prise d’amour pour Joseph Kessel. Joseph Kessel, les loups et les sorcières, les trois pôles d’attraction du rayon adulte qui magnétisaient mes envies de lecture. Je me souviens avoir dévoré cette Fortune Carrée, sans vraiment bien saisir autre chose que le paysage et une fougueuse image de liberté. Vaine tentative pour le relire aujourd’hui. Un trop-plein de dithyrambes, les aventures guerrières et un Orient musulman mystérieux incitant à la fascination, ont vite épuisé ma bonne volonté. Il vaut mieux laisser voguer la couverture de ce livre sur la mare un peu trouble de mes fantasmes enfantins et ne plus l’ouvrir.

 

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Léon Tolstoï, La Guerre et la Paix, lu par Éric Herson-Macarel

The Metropolitan Museum of Art, New York 1984.1203.9

Ce n’est finalement pas si fastidieux. Quelques notes prises sur les protagonistes pour se les caler dans l’esprit et c’est parti. L’interprétation d’Eric Herson-Macarel coule comme une source. Il nous offre de beaux personnages, vivants, vibrants, riches de toutes leurs nuances. Ils évoluent, prennent des décisions, se trompent, s’emballent. Toute la force romanesque tient dans cette liberté que Léon Tolstoï leur délègue. Lui se préoccupe de théories sur l’histoire, de démontrer que les grands hommes ne sont rien par eux-mêmes. À charge pour Natacha, Nicolas ou la princesse Marie de développer leur existence propre et de distraire le lecteur. À partir de la prise de Moscou, j’ai trouvé que la construction était moins soignée, le suivi des existences plus aléatoire, moins naturel, plus contraint. On s’enfonce dans la boue de la guerre et le chaos. Bien sûr j’ai écouté les passages théoriques d’une seule oreille et bazardé toute la fin, surtout parce que Léon Tolstoï se répète beaucoup. Mais c’est une lourdeur qui passe en souterrain. La lumière de Pierre, quêteur spirituel maladroit et empêtré de lui-même, continue de nous interroger sur l’énigme de la vie une fois le livre achevé.

 

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Patricia Reznikov, La transcendante

Parc naturel du Haut-Languedoc, lac de Vésoles

Dites franchement que ce je raconte n’a aucune originalité ! (71)

Et bien si vous me tendez la perche, si vous m’incitez à vous répondre,… vous m’ôtez les mots du stylo…

Transcender est un verbe que j’affectionne et que j’utilise avec respect et gourmandise spirituelle. D’où un coup au cœur immédiat devant le titre de ce livre. Je m’en suis fait tout une imagination, le nom à consonance russe de l’auteur m’ayant transportée dans l’attente d’un récit puissant et dur, porté par un questionnement existentiel venant des tripes…

Je compris alors que la vie était courte. Tragique. Précieuse. (199)

Et voilà tout ce que j’ai reçu en échange. Dès le deuxième paragraphe de la page 9, j’ai senti que quelque chose clochait. Le style était plat, le propos banal, nourri de lieux communs. Tout se déroulait trop vite, comme s’il fallait absolument aller de l’avant dans le récit, ne pas laisser de temps morts s’installer. C’est pourtant un bon ingrédient, la mort, quand on prétend s’intéresser à l’existence. Patricia Reznikov, ceci dit, ne lésine pas sur les ingrédients fictifs – ceux qu’on affiche sur les pots de yaourts mais qui en fait ne sont que des arômes chimiques. A croire qu’un ordinateur lui a sorti une liste de mots à placer de manière à créer un état de réceptivité dans le cerveau du lecteur : Montparnasse, pancakes, muffins, chat. Sans compter le coup du schizophrène. Puis celui de l’amérindien. Pour ce qui concerne la littérature, sujet principal de la recherche à temps perdu de l’héroïne, on assiste à un étalage permanent de culture prémâchée, prédigérée par la salive de l’auteur, puis déglutie dans le bec des oisillons-lecteurs. Un pourcentage très conséquent de dialogues assurant le rendement et le remplissage des pages. C’est le cas typique d’un roman qui utilise un vrai sujet pour masquer son indigence et sa paresse : un bon gros déballage de transcendalistes, rien de tel pour aveugler un lecteur pas trop regardant.

– Vous savez, me dit-il, que chez certains peuples, les corbeaux sont les gardiens des âmes. (…)
– Ça ne m’étonne pas. Ils ont l’air tout pénétrés de leur mission. Et ils n’ont pas le sens de l’humour. Mais il ne faut pas trop se moquer d’eux, car nous aurons un jour à rendre des comptes ! (271)

M’étonnerait pas que les petites farces et autres crasses en douce aient déjà commencé… Savez-vous seulement ce qu’est un trickster dans les cultures amérindiennes ? Il aurait mieux valu se renseigner avant de véhiculer ce genre de bêtises désobligeantes sur le compte de Corbeau…

Lac de Vesoles – Sympetrum rouge sang

Lac de Vesoles – Agrion

Lac de Vesoles – Agrion

 

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Pierre Jourde, La littérature sans estomac

Parc régional du Haut-Languedoc, lac de Vesoles

Il s’agit de se demander si la littérature est une image de la littérature ou un acte littéraire. (205)

Publier une critique franchement négative à propos d’un livre demande une certaine audace. Il n’y a qu’à voir sur Babelio, où l’on se trouve rarement face à de belles envolées mordantes. Les notations minuscules ne manquent certes pas. Mais les écrits qui les portent sont souvent timides, prudents, font valoir que ce n’est que leur vision personnelle, voire s’excusent. S’excuser de ne pas avoir aimé un livre ?! Pourquoi devrait-on ménager auteurs et maisons d’éditions, leur octroyer un statut supérieur ? Vive la critique à égalité d’esprit, libre, épanouie et créative pourvue qu’elle soit étayée ! Pierre Jourde y excelle. C’est un vrai bonheur de se plonger dans sa prose enlevée, impertinente, souvent drôle, lexicalement riche, parsemée de formules pimpantes qu’on aimerait lui piquer. Même quand il descend en flammèches des auteurs que j’apprécie, je fonds de plaisir. Je dirais même que je fonds doublement de plaisir car l’expérience sensorielle est d’autant plus forte que son point de vue se démarque et entre en collision avec le mien.

Pourquoi donc le fait de signaler les œuvres de qualité empêcherait-il de désigner clairement les mauvaises ? Jamais les librairies n’ont été si encombrées d’une masse toujours mouvante de fiction. Il faut donner des raisons de choisir. Ce devoir est devenu d’autant plus impératif que les produits sont frelatés. Des lecteurs de bonne foi lisent ces textes et se convainquent que la « vraie littérature » est celle-là. Or une chose écrite n’est pas bonne à lire par le seul fait qu’elle est écrite, comme tendraient à le faire croire les actuels réflexes protecteurs du livre. Tout texte modifie le monde. Cela diffuse des mots, des représentations. Cela, si peut que ce soit, nous change. Des textes factices, des phrases sans probité, des romans stupides ne restent pas enfermés dans leur cadre de papier. Ils infectent la réalité. Cela appelle un antidote verbal. (25)

En plus de nous régaler de ses habiletés littéraires, il met des mots sur la confusion entretenue par la plupart des maisons d’édition et des médias culturels autour de notre perception de la littérature, sur cette évolution de la littérature pour amateurs éclairés vers le créneau vendeur. Il nomme, définit – le roman décoratif, petit récit […] mettant en scène un petit personnage sans identité trop définie […], le tout rapporté dans un langage pas trop compliqué, les romancules qui ne s’engagent pas et qui n’engagent à rien, la littérature microcosmopolite qui nous envoie des cartes postales touristiques du potager du coin. Qu’est-ce qu’une littérature exigeante, de qualité ? Comment ne pas se faire avoir par les coups éditoriaux ? L’essence de la réponse tient tout entière dans notre attente. Distraction ? Questionnement existentiel ? Modification des perceptions ? Aller vers de l’inattendu pour bousculer son train-train ou ronronner sur un canapé ? Se faire croire à soi-même qu’on est dans le vent intellectuel, conforter son identité ? Le champ de possibilités est vaste pour inventer notre relation aux livres. Il ne tient qu’à chacun de faire de la lecture une école de lucidité et de la critique une pratique d’intégrité, citoyens culturels aux consciences éveillés et actives.

Pour Proust, la plus grande intensité de réel – le réel retrouvé – se tient au bout de l’extrême littérature. Car, pour ce qui est du réel, dans la vie, la plupart du temps, nous n’y sommes pas. Nous vivons de rêves. Ecrire consiste à rêver avec une intensité telle que nous parvenions à arracher au monde un morceau. (34)

Paradoxalement, les critiques positives de Pierre Jourde m’ennuient terriblement. Et ce d’autant plus quand elles concernent un auteur dont j’aime beaucoup le travail : Eric Chevillard, dont voilà un aphorisme tout en écho au propos :

Souvent je me demande si je ne perds pas mon temps à défendre de bons livres alors qu’il y en a tant de mauvais à pourfendre.
Éric Chevillard 3051

Lac de Vesoles – Agrion

Lac de Vesoles – Sympetrum rouge sang

Lac de Vesoles – Sympetrum rouge sang

Lac de Vesoles – Sympetrum rouge sang

 

La littérature, telle qu’elle devrait être si l’on en attend qu’elle joue quelque rôle dans notre vie, cherche sa nécessité. Sa garantie est devant elle. Elle n’existe pas avant que l’oeuvre soit écrite. Autrement dit, les œuvres véritables déterminent leurs lois, leur langage, et ce faisant, leur réalisme. Il consiste non pas à reproduire le réel, mais à le faire advenir. Le changer en y ajoutant de la conscience. Le faire remonter du fond de l’oubli. C’est nous-mêmes qu’elle cherche, nous-mêmes tels que nous nous sommes oubliés. (37)

Plus sérieusement, on estime en général qu’une critique négative est du temps perdu. Il conviendrait de ne parler que des textes qui en valent la peine. Cette idée, infiniment ressassée, tout en donnant bonne conscience, masque souvent deux comportements : soit, tout bonnement, l’ordinaire lâcheté d’un monde intellectuel où l’on préfère éviter les ennuis, où l’on ne prend de risques que si l’on en attend un quelconque bénéfice, où dire du bien peut rapporter beaucoup, et dire du mal, guère; soit le refus de toute attaque portée à une oeuvre littéraire, comme si, quelle que soit sa qualité, elle était à protéger en tant qu’objet culturel; le fait qu’on ne puisse pas toucher à un livre illustre la pensée gélatineuse contemporaine : tout est sympathique. Le consentement mou se substitue à la passion. Ne parler que des bonnes choses ? Cela ressemble à une attitude noble, généreuse, raisonnable. Mais quelle crédibilité, quelle valeur peut avoir une critique qui se confond avec un dithyrambe universel ? Si tout est positif, plus rien ne l’est. Les opinions se résorbent dans une neutralité grisâtre. Toute passion a ses fureurs. Faut-il parler de littérature en se gardant de la fureur ? Si on l’admet, il faut alors aussi admettre qu’il ne s’agit plus d’amour, mais plutôt de l’affection qu’on porte au souvenir d’une vieille parente.

L’éloge unanime sent le cimetière. La critique contemporaine est une anthologie d’oraisons funèbres. On ne protège que les espèces en voie d’extinction. Dans le monde mièvre de la vie littéraire contemporaine, les écrivains, mammifères bizarres, broutent tranquillement sous le regard des badauds, derrière leurs barreaux culturels. Dans leurs songes, « ils dérangent », ils gênent le pouvoir et perturbent l’ordre établi, comme ne cesse de le répéter Philippe Sollers. En fait, personne ne les agresse, ils ne font de mal à personne. On emmène les enfants les voir, pour qu’ils sachent que ces bêtes-là ont existé.
(24)

 

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Hubert Reeves, L’herbier de Malicorne

Parc régional du Haut-Languedoc, lac de Vesoles

Familière des guides naturaliste, dont un certain nombre vivent sur mes étagères, je n’étais pas à première vue très emballée pour suivre Hubert Reeves à travers champs. Encore un de ces jolis livres grand public sans personnalité, me disais-je, tout juste bons à être feuilletés par des ignares romantiques. Mais au fil des herbes, j’ai fini par laissé la rosée se déposer, trouvé du charme à l’attention qu’Hubert Reeves porte aux insignifiantes, aux minuscules, aux snobées à force d’être vues. Combien de fois ai-je marché sur des brunelles, ou écarté des séneçons jacobés de mon bâton sans leur prêter la moindre attention ? Comme s’il fallait être rare ou remarquable pour mériter un nom. Du contexte de Malicorne et de sa temporalité, des points d’apparition familiers à telle ou telle plante, émane une tendresse transmissible et une certaine idée de la beauté.

N.B Le chapitre consacré à la ficaire m’a paru flou. Bouton d’or, pas bouton d’or ? La confusion n’est pas éclaircie.

Parc naturel du Haut-Languedoc – Lac de Vesoles

Lac de Vesoles – Agrions

Lac de Vesoles – Sympetrum rouge sang

 

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Henri Bosco, Le mas Théotime

Côte méditerranéenne, Vendres-plage - Henri Bosco, Le mas Théotime

Côte méditerranéenne, Vendres-plage

Car le vieil Alibert croit à la sainteté des bornes agricoles. Un champ ne devient tel, pour sa raison, que s’il a des limites bien établies. (…) Il a horreur des empiétements, même s’ils tournent à son avantage; et il n’est point, pour lui, de culture possible si l’on ne sait au juste où doit s’arrêter le labour et le jet de semailles. Une poignée de grains jetée à l’étourdie, et qui tombe chez le voisin est une impiété grave, et si le voisin, par mégarde, vous gratifie de sa semence, le vieil Alibert en arrache les épis dès qu’ils poussent en herbe, car il prétend les reconnaître parmi les siens. (68)

1945… à lire ce roman on se dit que c’était vraiment une autre époque. Il est le reflet d’une vie paysanne et d’une perception de la femme qui se sont fondus dans l’évolution de la société. On croise toujours des Alibert et des Claudius dans ma campagne, mais ils font figure d’îlots dans un monde qui a changé de perspectives et dont l’angle de vue s’est élargi.

Pascal fait figure d’original et tient en quelque sorte le rôle de l’artiste. Sa vie intérieure intense, sa relation profonde à l’esprit des lieux et son maniérisme sentimental donnent son charme à un récit écrit à l’ancienne, avec soin. La menace qui plane dans les collines rappelle Jean Giono mais sous une tout autre perspective. Point de chamanisme ici, mais la recherche d’une vie morale par la domestication des terres et des eaux sous peine d’être livré aux mystères des forces impulsives et de vivre continuellement dans un état d’ivresse sourde ou de demi-démence. La sauvagerie guette si on ne trace pas correctement son sillon…

C’était la peur qui soulevait en moi une colère contenue, et d’autant plus vive, dont l’amertume coulait déjà dans mon sang si prompt à s’assombrir. Je le sentais qui s’échauffait rapidement et de là provenait ma bizarre inquiétude, comme si, du plus profond de moi-même, une forme encore bien vague se fût détachée, qui me donnait le sentiment d’une intrusion. Quelqu’un semblait s’être glissé dans les parties basses et peu connues de mon âme, et, à travers l’obscurité qui y régnait encore, il cherchait en tâtonnant à arriver jusqu’à moi, déjà troublé par son approche silencieuse. (303)

Les effets de la malveillance, l’obsession, la dépossession de soi sont des points forts du paysage tracé par Henri Bosco. La silhouette du berger aux grands pas suivi docilement par ses trois brebis faméliques a pris valeur symbolique dans mon imagination.

Vendres-plage – Aigrette garzette

Vendres-plage – Aigrette garzette

Étangs de Vendres – Échasse blanche

Étangs de Vendres – Échasse blanche

Vendres-plage – Aigrette garzette

Vendres-plage – Aigrette garzette

Vendres-plage – Foulque macroule

Vendres-plage – Foulque macroule

Vendres-plage – Coucou geai

Vendres-plage – Coucou geai

Vendres-plage – Coucou geai, pie

Vendres-plage – Coucou geai, pie

Vendres-plage – Chardonneret

Vendres-plage – Chardonneret

Vendres-plage – Cisticole des joncs

Vendres-plage – Cisticole des joncs

 

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Roger Munier, Haïkus : anthologie

Parc régional du Haut-Languedoc, forêt du Somail - Roger Munier, Haïkus : anthologie

Parc régional du Haut-Languedoc, forêt du Somail

En un mot, j’ai voulu faire oeuvre libre, à partir de travaux éprouvés. (9)

Si le recueil fourmille de poèmes classiques au charme indéniable, je n’adhère cependant pas complètement à la démarche de Roger Munier qui fait ici plus oeuvre littéraire que travail de traduction authentique. La présentation éditoriale est trompeuse. Les haïkus ne sont pas retranscrits à partir du texte original japonais mais se basent sur des traductions en anglais. Le travail de recherche qui a été fait par l’auteur déjoue certainement le contresens, il n’empêche que cela enlève de la saveur à la lecture.

Car de quoi s’agit-il en fait dans le haïku, sinon de susciter par le truchement des mots un mouvement de l’esprit vers la chose comme elle est, dans l’instant de sa révélation soudaine et là ? (9)

Cette fadeur est renforcée par la volonté orientée de l’auteur de mettre en avant sa conception personnelle du haïku. Il y a une espèce d’homogénéité dans les textes. Les différents auteurs se fondent dans une même intention. Ce biais de lecture incite à faire l’expérience de la certitude de la conscience immédiate et du dépassement de notre essence limitée, ce qui peut étayer de futures excursions en terres japonaises, mais réduit, je pense, le champ de compréhension.

L’arracheur de navets
montre le chemin
avec un navet
Issa
(171)

Forêt du Somail – Rec del Bosc

Forêt du Somail – Rec del Bosc

Rec del Bosc – Lézard vert

Rec del Bosc – Lézard vert

Forêt du Somail – gravures rupestres

Forêt du Somail – gravures rupestres

 

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Jean-Paul Kauffmann, La chambre noire de Longwood

Massif de l’Aigoual, sources de la Dourbie - Jean-Paul Kauffmann, La chambre noire de Longwood

Massif de l’Aigoual, sources de la Dourbie

Comme tous les captifs, Napoléon s’est battu contre la dissolution. (17)

Je me suis raccrochée à ce livre en des lieux étranges et face à la perspective de longues journées d’ennui froid et gris. Dans des espaces vides trouver des repères, Jean-Paul Kauffmann excelle à cet exercice. Il affectionne les symboles, les images, les jalons. S’imprègne d’une atmosphère à la manière de Maigret.

Ce qui m’excite justement, c’est ce passé que je n’attendrai jamais, le pittoresque que je ne pourrai jamais reconstituer. Comprenez-vous que c’est ce jamais, définitif, irréparable, sans retour qui m’exalte ? (311)

Il donne à cet exil une perspective terriblement romanesque. L’écosystème de Longwood, cette association d’êtres vivants installés en milieu humide est fascinant à observer sous sa plume. Dessèchement, marasme, engourdissement, dépérissement. Un présent qui semble ne jamais s’arrêter. On en viendrait à ressentir de la compassion pour le despotique empereur. Jean-Paul Kauffmann est moins sobre que dans d’autres ouvrages, le verbe s’emballe un peu, ce qui ne gâche pas le charme de l’ouvrage. Un climat prégnant, un fort sentiment de voyage restent collés à mes semelles. La guerre et la paix que j’écoute en parallèle, dans une interprétation d’Eric Herson-Macarel qui coule comme une source, y prend une saveur nouvelle.

Massif de l’Aigoual – Anémone des bois

Massif de l’Aigoual – Anémone des bois

Massif de l’Aigoual – Renard

Massif de l’Aigoual – Renard

Massif de l’Aigoual – Renard

Massif de l’Aigoual – Renard

Massif de l’Aigoual – Renard

Massif de l’Aigoual – Renard

Massif de l’Aigoual – Renard

Massif de l’Aigoual – Renard

 

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Helen Macdonald, M pour Mabel

Causse du Larzac, rocs du Lauradou - Helen Macdonald, M pour Mabel

Causse du Larzac, rocs du Lauradou

J’aime Mabel mais ce qui se passe entre nous n’a rien d’humain. (300)

Cette lecture a été intense. L’obscurité parcourt les lignes par déflagrations de longs éclairs noirs et brûlants. Helen Macdonald laisse les griffes de la mort et de la peur lui labourer le bras. En toute conscience. Elle fait le pari de s’appuyer sur l’aile d’une femelle autour sortie du carton prête à tuer, comme la folle d’un roman populaire victorien et sur l’épaule d’un écrivain tourmenté, désagréable et narcissique pour retrouver la lumière après la mort de son père.

Dehors, j’oubliais que j’étais un être humain. Tout ce que voyait l’autour était cru, réel, dessiné avec une extrême précision, tout le reste s’évaporait dans le néant. (254)

Le glissement vers l’invisibilité, les modifications de subjectivité qu’entraînent sa relation avec Mabel sont fascinants. Elle les décrit sans complaisance et sans angélisme. La réalité fluctue et rester fonctionnel demande des réajustements inconfortables. Dans un monde d’êtres terrifiés par la perte, Helen Macdonald empoigne sa douleur et ces étranges excavations qui minent un esprit malade par le biais féral. Gérer son rapport à la violence animale ne va pas de soi mais pose des questions essentielles. Au bout du voyage, l’altérité. Quand on est autour, on est autour…

N.B. Le terme faucon, employé avec deux sens distincts, mais non spécifiés, tout au long du livre, entraîne une certaine confusion. Une note du traducteur aurait été bienvenue.
Un étrange multitudineux s’est invité dans le texte français.

Rocs du Lauradou – Oies cendrées

Rocs du Lauradou – Oies cendrées

Causse du Larzac – Rocs du Lauradou

Causse du Larzac – Rocs du Lauradou

Causse du Larzac – Rocs du Lauradou

Causse du Larzac – Rocs du Lauradou

Rocs du Lauradou – Oies cendrées

Rocs du Lauradou – Oies cendrées

 

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Nicole Lombard, Le pommier d’Anaïs

Cirque de Navacelles, la Vis - Nicole Lombard, Le pommier d’Anaïs

Cirque de Navacelles, la Vis

S’il faut parler ici de mysticisme, et pourquoi s’en priverait-on ? il ne s’agit pas d’un mysticisme d’envol, il ne s’agit pas de sortir de soi, mais d’un phénomène assez comparable à la dormance végétale, ou animale : il s’agit de se concentrer sur sa sève, sur le cœur de ce qu’on est vraiment. Un approfondissement, un très et patient éclairement, une purification. (105)

Quand on randonne sur les chemins étroits, au fond du cirque de Navacelles, par les tours et détours, les angles et les avancées rocheuses qui masquent la vue, l’omniprésence de la rivière et l’enchevêtrement enveloppant de la végétation donnent l’illusion qu’on est seul au cœur d’une sauvagerie. Puis surgissent des passants, des marcheurs, des visiteurs, qui vont la plupart du temps d’un pas si vifs qu’on se croirait un instant dans les couloirs de la station de métro du Châtelet, à Paris. Aussitôt apparus, aussitôt évanouis. On revient à ses sens en éveil.

Ce dialogue intime avec le paysage, faisant fi des prétentions humaines, nourrit les rencontres qui parsèment ce livre. Les frênes dansants du pré voisin, Mignonne et Gironde, ou la grosse jument du bras mort de la route montant vers l’Aubrac, sont le sujet d’autant de relations buissonnières, d’émotions spontanées, d’arrêts fraternels hors contrats. Les actes de propriété sont provisoirement translucides, ne font pas partie du même monde. La liberté de se lier, d’une manière discrète et tendre, à ce qui ne nous appartient pas, voilà tout le secret.

Vous me direz : vos trois roses trémières n’en demandaient pas tant. Tout ce ciel, cet enfer, ces voix, ces rimes, cette musique… (41)

Possédées, Black Knight et Festiva Maxima, compagnes végétales achetées, payés, plantées, le sont. La même affinité dans la beauté, le bonheur d’en prendre soin en plus. Ce qui ne les empêche pas, en dépit des incantations et transes littéraires de Nicole Lombard, de ne pousser qu’à leur tête. Attente, déception, disparition, réapparition, le vide enfin, ou le sentiment de gâchis, sont des tristesses incontournables pour qui s’inscrit dans la nature bruissante avec une grâce d’existence où l’essence de l’être se mêle à la lumière et au vent. L’attachement sera forcément malmené. Le jardin de Célestine transformé en parking. Ou ce bâton de marche, poli par la paume de ma main depuis plus de 8 ans, cinq minutes oublié sur le sentier du cirque de Navacelles et déjà subtilisé, envolé, effacé. Et même pas par un ours, ce qui m’aurait enchantée. Nous cheminons sur le toit de l’enfer et nous admirons les fleurs. Cher vieil Issa….

En écho encore cette évocation de l’autour Mabel :

Depuis que je laisse Mabel voler à sa guise et que je la lâche librement, j’ai découvert quelque chose de tout à fait étonnant. Elle aussi se construit un paysage des lieux magiques. Elle fait des détours par certains coins pour vérifier si le faisan ou le lapin qu’elle y a vu la semaine dernière n’y serait pas revenu. C’est une superstition insensée, l’heuristique instinctive de l’esprit prédateur, et cela fonctionne. Elle apprend une manière particulière de naviguer dans le monde et sa carte coïncide avec la mienne. Mémoire, amour et magie. Ce qui se passait au cours de ces années d’expéditions enfantines, c’était la lente transformation de mon paysage en ce que les naturalistes appellent une « tache », un lieu chargé de mémoire et de sens. Mabel fait la même chose : elle fait de la colline un lieu qui soit le sien. Le mien. Le nôtre. [M pour Mabel de Helen McDonald p324)

Cirque de Navacelles – La Vis

Cirque de Navacelles – La Vis

La Vis – Pouillot fittis

La Vis – Pouillot fittis

Cirque de Navacelles – Ancolie

Cirque de Navacelles – Ancolie

Cirque de Navacelles – La Vis

Cirque de Navacelles – La Vis

 

 

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